Il y a ce petit film. Ce tout petit film noir méconnu. Qui commence par une silhouette tragique, celle d’un homme brisé, d’un jazzman damné, jouant de son saxo dans une maison en flammes.
Son titre : Salton Sea
Et la silhouette qui taquinait le saxo dans cette scène c’était Val Kilmer. L’acteur avait tourné ce film en 2002, en pleine période de disgrâce hollywoodienne où, après s’être attiré les foudres de collaborateurs comme John Frankenheimer, Michael Douglas ou Joel Schumacher, l’acteur commençait à se voir reléguer sur le banc de touche. Lui ancienne gloire du cinéma, révélé par Top Secret et Top Gun, confirmé par Willow et Coeur de tonnerre, entraperçu dans True Romance, vénéré pour ses prestations dans The Doors, Tombstone et Heat, et déchu dès Batman Forever, lui, la belle gueule qui n’avait de cesse de perfectionner ses rôles, de chercher à trouver l’âme de ses personnages pour les incarner. Lui qui encouragea son ami de jeunesse Kevin Spacey à se lancer dans le théâtre, lui que Michael Douglas acteur et producteur jalousait sur L’Ombre et la proie jusqu’à réduire ses scènes, lui que l’irascible Frankenheimer éjecta du plateau de L’Île du Docteur Moreau avec un gentil "virez-moi cet emmerdeur !". Lui qui après un Wonderland, un Spartan et un Kiss Kiss Bang Bang se fit reléguer peu à peu à de vulgaires seconds rôles dans les années 2000 (Déjà vu, Bad lieutenant) avant que la critique ne se foute de sa gueule dans les années 2010 car on ne le voyait plus que cachetonner dans des films cinés ou dtv pas folichons (à un Irish gangster près) et parce que son physique de beau gosse changeait peu à peu. D’ailleurs, je me souviens encore d’une langue de p... du Mad Movies qui écrivait sur la critique de The Traveler : "Méconnaissable, Kilmer y ressemble de plus en plus à Depardieu". Alors qu’on ignorait encore le combat contre la maladie que l’acteur commençait à livrer. Un peu comme Bruce Willis d’ailleurs.
Parmi les nombreux films mémorables de la carrière de Kilmer, on parle toujours de Top Gun, de The Doors, de Tombstone, de Heat, de Willow, mais jamais de Salton Sea, pourtant un de ses meilleurs. L’histoire d’une vengeance froide, sur la durée, celle d’un homme dont on vole l’amour de sa vie et qui pour survivre au deuil empreinte la voie des marginaux, des laissés-pour-compte et des junkies sous des airs de Walk on the wild side de Lou Reed. Devenu l’indic de deux ripoux, Tom Van Allen (Kilmer) devient Danny Parker et infiltre le trafic du terrible Pooh-Bear (Vincent D’Onofrio), terrible caïd de la drogue, dont l’absence de nez en dit long sur son addiction à la poudre. Méprisé, malmené, brisé par un deuil indépassable, Van Allen/Parker va jouer son rôle et baiser son monde jusqu’à confronter les meurtriers de sa femme.
Aux côtés de D’Onofrio (terrifiant), Anthony LaPaglia (détestable à souhait) et Doug Hutchison (étonnant dans un rôle de flic à contre-emploi), Kilmer brillait encore de mille feux dans un rôle et une intrigue qui, par certains aspects, n’était pas sans rappeler celle de Memento sorti deux ans plus tôt (l’amnésie en moins).
Moins mémorable que le film de Nolan, Salton Sea s’apprécie pourtant toujours autant pour sa mise en scène soignée, son ambiance crépusculaire et la sobriété de son intrigue (ici pas de twists superflus).
Aujourd’hui, Kilmer s’en est allé, après avoir combattu de toutes ses forces et de tout son optimisme la maladie (voir le très beau documentaire Val toujours dispo sur Arte tv). On se souviendra de lui pour bon nombre de rôles. Certains se rappelleront peut-être encore de ce saxophoniste jouant cet air déchirant au milieu des flammes, prisonnier de son enfer personnel. Celui de l’amour perdu, du deuil éternel et de la solitude la plus absolue.
In pace requiescat Val.