Petit aparté: Je n'ai pas été convaincu, mais alors pas du tout, par Jurassic World: Fallen Kingdom, un gâchis mis en scène avec brio mais écrit avec les orteils d'un lépreux au cerveau dévoré par l'appât du gain.
Mettons donc en lumière un film qui, avec un budget tout pile dix fois inférieur à la bouse de brachiosaure sus-mentionnée, propose sans doute dix fois plus de bonnes idées pour faire exister sa tension dramatique.


Oui, j'ai mal à mon Jurassic Park.


Notre histoire débute 89 jours après qu'une catastrophe inexpliquée ne réduise l'Amérique (et peut-être le monde entier) à l'état d'un immense territoire déshumanisé, dans lequel une poignée de survivants vivent dans un silence forcé pour éviter d'attirer l'attention de créatures hideuses et indestructibles. Des monstres aveugles, attirés par le bruit...


En raconter plus serait vous priver de tout le sel de cette oeuvre, bien qu'on ne vous spoilera probablement pas en disant que la tension y grimpe très rapidement.
Et, même si la légèreté garde un peu de place pour nous sortir les ongles de nos accoudoirs, le metteur en scène est résolu à nous faire réagir et prouve qu'il extrêmement doué à ce petit jeu.


Du cinéaste parlons-en brièvement: après avoir fait ses armes aux manettes de deux modestes comédies, John Krasinski saute à pieds joints dans la cour des grands (malgré un budget modeste) en s'attaquant au genre du thriller horrifique; un grand saut fait derrière et devant la caméra puisqu'il campe également le personnage principal de Sans Un Bruit, accompagné de sa talentueuse épouse Emily Blunt, qui livre certainement sa plus belle composition, ex-aequo avec sa performance dans Sicario.


Si Sans Un Bruit n'est pas l'unique film bâti autour du silence, Krasinski est certainement le premier à en tirer la quintessence de façon aussi ingénieuse; ainsi, même la plus banale des actions, telles que faire la lessive, partager un repas ou encore déambuler sur un parquet grinçant sèment un stress permanent.
Quoi de plus normal quand le plus petit des bruits peut sonner le glas de votre existence? Et c'est sans même évoquer les réflexes humains comme le rire, le pleur ou le cri de douleur...


Aussi, l'oeuvre fait-elle un boulot remarquable pour placer ses personnages dans des situations de plus en plus effroyables qui, sans la prestation cinq étoiles du casting, auraient parfois pu virer au comique involontaire.
Et même si Krasinski laisse sagement les monstres hors-champ (ils sont seulement entr'aperçus dans les deux premiers actes) pour mieux faire peser leur ombre sur l'ensemble du long métrage, les effets visuels se révèlent percutants quand nous les voyons enfin pour de bon.
Leurs facultés auditives et meurtrières couplée à la quiétude (apparente) verdoyante des environnements parleront d'ailleurs aux fans du chef-d'oeuvre vidéoludique The Last of Us.


Poursuivons dans le domaine des influences et références puisque Sans Un Bruit vous fera immanquablement penser aux meilleurs plans de Signes (oui, il y en a!), mais aussi à Alien(s) ou encore à Jurassic Park lors d'une scène bien précise, pour boucler la boucle ;).
On se surprend même à penser que ce film aurait pu être une bonne suite au second Cloverfield, en lieu et place de la farce Cloverfield Paradox...
Mais rester en dehors de toute franchise permet à Krasinski d'être libre de diriger son projet comme il l'entend et de manier la caméra avec une assurance déconcertante pour un quasi novice; certes, le jeune acteur-réalisateur se repose sur quelques jump scares faciles pour nous effrayer mais c'est surtout sa manière de distiller l'angoisse nous accompagnant durant tout le visionnage, bien aidé par un sound design exceptionnel, qui nous marquera au fer rouge.


En prenant le temps de nous faire vivre l'intrigue via différentes perspectives, juxtaposant brillamment les bruits ambiants qu'entendent les personnages au vide sonore qu'expérimente la seule fille malentendante de la famille (jouée avec très grande justesse par Millicent Simmonds), le metteur en scène tisse entre le groupe et le spectateur un lien émotionnel sans même avoir besoin de nous livrer le prénom des protagonistes.


Par ailleurs, c'est en déguisant ce drame familial en thriller horrifique que John Krasinski tape dans le mille: quoi de mieux qu'un problème de communication entre parents et enfants, le tout agrémenté d'une obligation de communiquer en langage des signes, pour susciter l'empathie?
Comme les plus grands réalisateurs l'ont fait avant lui, il s'inspire de son vécu, de ses obsessions et phobies de jeune parent pour nous livrer une oeuvre très personnelle, où ses propres démons prennent vie, au sens littéral du terme.


Autre force du film, et non des moindres, c'est qu'il ne s'embarrasse pas d'explications sur les règles du monde qu'il dépeint.
Tout est une question de détails et d'indices, plus ou moins apparents à l'écran, qui vont rendre l'expérience crédible sans que l'effort pour le faire ne soit ressenti; évoquons par exemple une partie de Monopoly où les pions sont remplacés par des babioles en tissu pour écarter tout risque sonore, ou encore un système d'alarme silencieux, basé sur un code couleur pour que chaque membre de la famille soit conscient du niveau d'alerte actuel.
Sans Un Bruit fourmille de ce genre d'éléments qui régaleront ceux qui n'en peuvent plus des tunnels de dialogues présents pour nous exposer le "pourquoi-du-comment" dans 90% des productions hollywoodiennes actuelles.


Cela dit, le silence possède le défaut de ses qualités: il est en effet impératif de savourer cette oeuvre de grande classe dans une salle disciplinée sous peine de se voir ternir l'expérience : les bruits de popcorn, de sachets et autres commentateurs à la Thierry Roland et Jean-Michel Larqué sont à éviter comme la peste pour profiter de votre séance... plus que jamais.


Puisqu'on parle "défauts", que peut-on réellement reprocher à Sans Un Bruit?
Sans conteste sa fin... qui aurait gagné à être plus percutante, plus marquante positivement parlant.
Après tout, le long métrage ne dure que 90 minutes et, ne boudons pas notre plaisir, nous serions bien restés un petit quart d'heure de plus en compagnie de cette attachante famille pour vivre un climax d'anthologie.
On se contentera d'une résolution qui fait le job, efficace, sans plus.


En un mot comme en cent, foncez voir Sans un Bruit avant qu'il ne quitte les cinémas belges ou dès qu'il sort en salles françaises car le silence assourdissant du film de John Krasinski est à vivre devant le plus grand écran possible pour vous laisser aspirer par l'image.
Parce que, comme l'a déclaré Stephen King: "Ce silence permet à la caméra d'ouvrir grands les yeux, ce que peu de films parviennent à accomplir d'une telle manière".


Note : 8 /10


Conseillé : A ceux qui cherchent à vivre une expérience qui sort du lot.


Déconseillé: A ceux qui ne supportent pas les films où le silence est d'or.


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christophe1986
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le 12 juin 2018

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