Avertissement: toute critique est susceptible de contenir des éléments clefs de l'intrigue de l'objet étudié ici, sans quoi il serait difficile de parler correctement du-dit objet.


Je rajouterai que je n'ai pas de formation dans le cinéma et que mes critiques sont plus à mettre en perspective de mon intérêt pour la Corée.


Avec à la production Bong Joon Ho, et à la réalisation Shim Sung Bo, on ne peut qu'être enthousiasmé à l'idée de voir ce film, tant leur collaboration sur le film memories of murder avait donné un résultat éclatant et plein de qualité. Il ne faut cependant jamais prendre des beaux noms comme un acquis de la production d'une oeuvre de qualité, tant il faut bien l'avouer, Sea Fog est une déception.


Sea Fog, ( Haemu / 해무 ) commence comme un film que l'on pourrait ranger dans la catégorie de réalisme social, avec une entrée en la matière qui nous présente le port de Yeosu, son fonctionnement, et surtout les conditions très précaires des pêcheurs qui s'y trouvent. L'introduction est assez bonne et permet une bonne contextualisation de l'action, et l'on prend le temps de découvrir chaque personnage, pourtant ceux ci ne manqueront pas de manquer de relief et de profondeur par la suite.


Le film rentre alors dans sa phase maritime, ou les pêcheurs, dirigés par un capitaine ne voulant renoncer à son bateau et qui a besoin de rentrées d’argent pour le réparer (pour des raisons un peu évasives et clairement pas assez encrées dans la diégèse du film pour paraître crédibles au spectateur, il refuse simplement de l’envoyer à la casse, c’est un peu trop léger), se voient embarqués dans une opération de récupération de clandestins, et particulièrement de Sino-Coréens (Joseon Jeok / 조선적 ), qui si ils sont d'ethnies coréennes, n'en possèdent pas la nationalité et vivent dans la province autonome du Yanbian en Chine. Sujet des plus attractifs pour toutes personnes s’intéressant aux sociétés coréennes actuelles, d'autant que l'évocation des Joseon Jeok est assez rare dans le cinéma coréen (on pourra citer le second film de Na Hong Jin, the murderer / 황해 ), et que la Corée du Sud de manière générale se pose actuellement de nombreuses questions sur l'immigration récente qu'elle connaît (au delà des Jeoson jeok). dans cette phase le film rentre plus dans une action dramatique plutôt réussie elle aussi, avec une découverte de nouveaux personnages en la qualité de ces réfugiés. Coup de théatre cependant, pendant l'inspection du bateau par un garde côte tout aussi corrompu que le capitaine, une fuite de gaz dans la cale tue tous les réfugiés (sauf l'une d'elle, Hong Mae qui ne s'y trouvait pas), si c'est assez osé et inattendu, nous verrons que par la suite cela apparaît comme une solution de facilité pour se libérer de plusieurs personnages d’un coup, et va recentrer l’intrigue sur les coréens eux mêmes.


Se lance alors un troisième acte dans lequel après s'être débarrassé des corps dans une brume montante, les membres d'équipages vont s'écharper les uns et les autres, tombant peu à peu dans la folie, et ayant fait la découverte de l'une des réfugiés dans la salle des machines, unique survivant donc à la fuite de gaz, sujet de discorde car personne ne doit savoir ce qu’il s’est passé. Les marins vont donc mourir un à un, et seul Dong Sik, le plus jeune et récent des marins, qui fait figure de héros dans le film, et Hong Mae parviendront à s’enfuir ensemble. le final va passé dans un style beaucoup plus proche du thriller ultra violent comme en est accoutumé le cinéma coréen, on dira même qu'il bascule dedans, voire qu'il y chavire, tant la vitesse du changement de ton et des comportements des personnages fait ressortir leur manque de profondeur et leur écriture bien trop légère. la violence a donc du mal à se justifier dans le film, tout comme le comportement et les motivations des personnages, qui vont finir en s’entruetuant au milieu du naufrague du bateau, grandiloquent dans le mauvais sens du terme, où la musique orchestrale devient presque caricaturale par erreur. Toute cette dernière partie se joue d'ailleurs dans cette fameuse brume qui donne son titre au film, qui si visuellement est assez belle, n'est pas si marquante, beaucoup d'actions déterminantes se trouvant dans des environnements en intérieur, disons qu'elle permet visuellement de rendre l'epace extérieur du bateau tout aussi clos que sa cale, mais que son utilisation n'en est pas pour autant si réussie que cela. Je passerai sur l'épilogue pour y revenir plus loin.


Mais qu'est ce qui motive donc mon manque d’intérêt pour ce film, et le titre de la critique? un ratage au niveau de l'équilibre des genres tout d'abord, car si le film se plaît à osciller entre un drame social, l'action plus heroïque et le thriller, aucune des parties du films n'offrent réelle satisfaction, tant elle semble incomplète, et ce surtout, à cause d’un troisième acte trop caricaturale, et de certaines scènes ratées. l'introduction n'offre à posteriori que trop peu de détail pour nous permettre de croire dans les personnages, la partie sur les réfugiés expédie trop vite son potentiel au profit d'un effet choc qui en devient donc artificiel, et la fin semble arrivée si brusquement que son changement de ton la rend presque burlesque et a une allure de nanar bien produit.

Autre problème du film, le traitement de ses personnages feminins: dès le début, le film met l'emphase sur un comportement relativement excluant des marins à l'égard des femmes sur leur bateau, qui a sûrement un historique de croyances et de superstitions, comme le fait d'ailleurs noter le film lui même en insistant sur la "mal chance" qu'elles entraîneraient. Et l'arrivée de femmes réfugiées sur ce bateau va donc défier les valeurs de ces hommes qui soit les évitent, soit les convoitent sexuellement, à l'exception du personnage de Dong Sik, le plus jeune et pur. La plus âgée des deux femmes est relativement bien traitée, celle ci se montre très cynique et "lucide" sur sa situation, et elle sait que faire usage de ses charmes et surtout de la faiblesse à cette endroit des marins peut lui permettre d'avoir de meilleures conditions de séjour, cela montre donc sans far aucun, l'exploitation et les abus des passeurs sur les passagers temporaires qu'il transportent, et cela ajoute à la noirceur du film. Cette femme est mise en opposition avec Hong Mae, plus jeune, plus naïve, qui refuse elle toute tentative d'avance... jusqu'à ce qu'une romance des plus improbables se mette en branle avec Dong Sik. Celui ci l'ayant en effet sauver de la noyage plus tôt, ils vont se rapprocher très rapidement (malgré quelques feintes de résistances très vite éclipsées), si la relation aurait pu en rester à un stade très candide et naïf qui aurait pu fonctionner, entre deux personnages innocents et placés dans un milieu qui ne leur correspond pas, la relation va déboucher sur une scène de sexe des plus délirante, tant elle survient à un moment improbable: ils viennent tout deux de voir un des marins se faire ouvrir le crâne par le capitaine du bateau dans la salle des machines, à quelques mètres d'eux, et se mettent soudain à vouloir expressément l'un de l'autre... parce que .... ?


 Je m'entends bien, si je met autant l'accent sur le ratage de cette scène, c'est aussi que je n'ai vu quasiment aucune critique l'évoquer, alors que celle ci réduit le SEUL réfugié survivant de la fuite de gaz, à un objet sexuel, plutôt que de lui donner un vrai rôle déterminant dans le film, on l'utilise pour créer de l'empathie avec le spectateur, mais comment cela pourrait marcher tellement la situation est surréaliste ?! Comment dans une situation aussi stressante et dangereuse, ces deux personnages dont la relation est quasiment inexistante peuvent en arriver là, si ce n’est par pur artifice scénaristique ?
Autre problème plus grave, le film passe à côté de son sujet, ou plutôt d'une occasion en or de traiter comme je le disais des réfugiés Sino Coréens et leur rapport à la Corée du Sud. En effet leur mort qui est d'abord un bon élément de choc, a comme je le soulignais pour effet de ne recentrer toute l'action que sur les uniques personnages coréens, la survivante restant n'ayant aucune action déterminante dans la suite des événements. Le film exclue donc maladroitement tout "non coréen" au profit des marins présentés au début, ils sont donc relégués au statut de simple objet scénaristique, si cela peut paraître habile (objectifier dans le media des humains dont les personnages eux mêmes, ainsi que la société coréenne, se soucient peu), cela a un rendu assez raté, surtout quand on prend autant de temps à iconiser le capitaine, coulant avec son bateau dans une scène qui cherche a avoir une portée tragique, mais qui manque le créneau, tant les motivations du capitaine semblent artificielles, elles aussi des simples objets d'intrigues. Cette iconisation semble donc presque malsaine, puisqu’elle si elle le rend misérable, à cause de ses propres actions, elle lui offre une sorte de glorification tout de même, le capitaine coule avec son navire, on pourrait presque y voir la peine coréenne, y être remise en avant face au malheurs des Sino-Coréens, puisque ses peines à lui sont exacerbées par cette ultime scène, même si ce n’est probablement pas l’intention, elle offre donc un “effet manqué”. Le malheur des personnages coréens transparait comme plus importante à l'écran dans la conclusion puisqu'elle leur appartient.
La scène de fin elle, est cependant intéressante: Dong Sik et Hong Mae ayant finalement réussi seuls, à survivre au naufrage du bateau, sont échoués sur une plage, et cette dernière, qui se réveille avant son sauveur d'avant, finie par l'abandonner et partir sans lui, qui se réveille seul. Le film aurait pu se terminer sur cette scène plutôt bonne et très ouverte (et en même temps riche de sens), mais il prolonge dans un épilogue assez inutile, qui tente de développer ce côté "doux amer" avec maladresse et de trop gros sabots. Ou encore une fois l'emphase sera mis sur le Coréen plus que sur le Sino Coréen, encore une fois un peu maladroit selon moi.

Sea fog apparaît donc non pas comme un mauvais film, mais plutôt comme une oeuvre qui avait un potentiel assez riche, et qui s’est perdu dans une ambition trop grande. Trop de style se mélangent, sans parvenir à trouver ce difficile équilibre pourtant nécéssaire si l’on veut varier autant les genres cinématograhiques, rendant chaque partie plus faible fans le tout. De plus le manque de profondeur des personnages nuit beaucoup à l’intégrité du récit, et surtout à ses ressorts scénaristique, c’est pourtant dommage car la photographie et les acteurs sont eux très bons. Enfin, certains sujets (les femmes et les clandestins), ne sont pas traités assez en profondeur, et apparaîssent même baclés (cette scène de sexe, j’insiste, est vraiment saugrenue et noussort du film par son caractère hors sujet), voire maladroits dans leur développement ce qui me pousse à considérer ce film comme un produit manqué, qui en effet, passe à côté de ce qu'il aurait pu être, pour ne proposer qu'un résultat assez simple et peu intéressant.

RaphaelMenudier
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le 16 oct. 2019

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