L’amour, entre les chèvres, dans le Yorkshire

God’s Own Country, écrit et réalisé par l’anglais Francis Lee, donne une impression de déjà-vu. Une impression d’un reboot version 2017 du légendaire Brokeback Mountain d’Ang Lee. Il n’en est rien.


Comparer les deux films semble aller de soi tant les similitudes sont évidentes. L’intrigue est ressemblante. Deux hommes, deux milieux différents, occupant un espace délimité – la ruralité irlandaise et les montagnes américaines- où s’exacerbent leur passion l’un pour l’autre. Leur épanouissement est empêché par les conditions qui les conditionnent : Un cercle familial peu propice à la naissance d’un amour homosexuel et un irréfragable désir rendu impossible par l’inaccessibilité émotionnelle des deux concernés.
Les deux duos ne sont cependant pas rythmés par la même dynamique.


Les hommes de God’s Own country ont, dans un premier temps, des caractères différents, et leur relation est complexifiée par son inégalité : Johnny, personnage principal, est natif du Yorkshire, intégré dans le tissu irlandais et évolue dans une famille modeste et conservatrice qui vit d’une petite ferme. Il devra faire face à un père diminué par un accident vasculaire dont il doit s’acquitter des charges.


Gheorghe est un immigré roumain qui est venu aider la famille dans la ferme pour pallier l’absence du père. Ce dernier a une maitrise partielle de l’anglais – B2, nous dirons – et a besoin de ce travail pour survivre. Avantagé par une beauté rugueuse et un regard de tueur, il doit néanmoins subir les « plaisanteries » racistes des locaux - et de Johnny – vis-à-vis de ses origines.


Ce film aurait rapidement pu, avec ce scénario, être une caricature de Brokeback Mountain. Cependant, l’angle d’approche est plus discret, moins dramatique, plus épuré et de ce fait, plus réaliste. Le spectateur a la capacité de se projeter émotionnellement, de ressentir tous les sentiments subtilement suggérés.


Même si les ressentis des deux personnages sont exprimés tout au long du film, le réalisateur se concentre sur l’impact de cette relation sur la vie de Johnny. Le focus est placé sur ses difficultés à se défaire d’un comportement brutal, d’une relation tempétueuse au sexe. Secs et basés sur une conception viriliste, ses rapports sexuels se concentrent en quelques minutes où il est (évidemment) « actif » et baise violemment son partenaire. En effet, avant de rencontrer Gheorghe toutes les relations homosexuelles de Johnny ont le même déroulé : En secret, il prend son partenaire violemment contre un mur (où un camion de déchargement, au choix) et se casse direct quand il a fini. Sans tendresse aucune. C’est le fil rouge du personnage. Et c’est avec Gheorghe qu’il va apprendre à baisser sa garde. (Alarme : gros cliché). Cette construction peut être perçue comme un énième cliché de l’homosexuel qui, pour une raison ou une autre, a des difficultés à accepter l’amour qu’il ressent. Mais Josh O’Connor, qui interprète Johnny, réussit son office avec brio pour nous écarter de cette interprétation.


Johnny mélange deux types de «coming». Coming out car il assume tout d’abord une relation homosexuelle avec Gheorghe (bien que le terme « Gay » ne soit jamais prononcé dans le film) et un coming of age, car il s’agit d’une sorte de rite initiatique qui doit aboutir à sa découverte en tant qu’Homme.


Pas de revendication politique dans ce film, ni de tirade endiablée sur la situation de la « communauté gay » ou des immigrés en Irlande. Tout bénèf, car le scénario s’en retrouve aéré. Évidemment, il n’y a pas de problème avec les films à visées plus politiques et dramatiques. L’enjeu est que parfois, la politisation à outrance dans certaines productions des personnages homosexuels tend à les rendre hors-sol et insaisissables.
Ce film – cette prouesse - montre surtout la pluralité des ressentis quand on est homosexuel, et permet d’individualiser les situations. Il permet de montrer qu’au-delà du « gay », il y a l’homme. L’homme et son histoire, l’homme et son caractère, l’homme et sa famille, l’homme et ses peurs. Ce film ne traite donc pas d’homosexualité directement mais de relation, de cheminement, de recherche.


Ici, tout est suggéré, tout est bien présent, et ça on le doit au travail phénoménal des acteurs, Josh O’connor et Alec Secăreanu. On est séduit par leurs étreintes charnelles et maladroites, leurs regards affolés et sereins rythmés par des non-dits assourdissants. Un grand Bravo.

Créée

le 21 juil. 2019

Critique lue 221 fois

1 j'aime

Critique lue 221 fois

1

D'autres avis sur Seule la Terre

Seule la Terre
Seemleo
8

Le vrai Amour

"Seule la terre" est une oeuvre naturaliste qui sent le crottin, le lait chaud et le mouton à chaque plan. Le bain dans l'atmosphère de la campagne anglaise profonde est donc réussi. Les personnages...

le 27 janv. 2018

13 j'aime

8

Seule la Terre
Fritz_Langueur
7

Les bas et hauts du Hurlevent

Voilà un petit film plutôt pas mal fait sur le thème de la difficulté à assumer son homosexualité en milieu très rural. Mais qui hélas a grandi à l’ombre d’une abondante production aux sujets...

le 13 déc. 2017

11 j'aime

9

Seule la Terre
seb2046
7

Love in god's own country...

SEULE LA TERRE (14,9) (Francis Lee, GB, 104min) : Homme de théâtre, pour son premier passage derrière la caméra Francis Lee livre une rugueuse chronique sociale et une vibrante relation amoureuse...

le 8 déc. 2017

7 j'aime

Du même critique

Seven Seconds
LaurentMondélice
7

" Si je meurs à l'étranger, je suis un héros. Mais si on m'assassine dans mes propres rues, je suis

Seven Seconds est une « mini série », format récemment en recrudescence à la télévision américaine, qu’il s’agissent d’histoires tournant autour d’une seule intrigue ou d’anthologies. Ce...

le 4 août 2018

4 j'aime

1

Get Out
LaurentMondélice
6

Film social > Film d'horreur

Ok. C'est rempli d'aprioris que je suis allez voir Get Out. Aprioris à deux niveaux : Encore un film qui traitera du racisme aux États-Unis sous un angle déjà vu (un couple hétérosexuel / inter...

le 6 mai 2017

2 j'aime

Looking
LaurentMondélice
8

Souvenir Gai

Ma série culte à moi. Looking (2014-2015) est une des séries new age les plus « gay » qui soit. Portée par Andrew Heigh, le pape britannique des prod télévisuelles et cinématographiques à thématique...

le 27 janv. 2020

1 j'aime