L'horreur autant visuel que psychologique
Suite à l'échec de Barry Lyndon, Kubrick veut traiter l'horreur pour son prochain film. Le tournage se déroulant sur les années 1978 et 1979 démontrera encore une fois les prouesses techniques de Kubrick avec l'utilisation d'un steadicam encore plus polyvalent que ceux utilisés sur les tournages de Rocky ou Marathon Man.
Pour ce 11ème film, Kubrick explore le genre de manière particulière : l'horreur se fait subtilement ressentir à travers l'isolement et la folie. Loin des références d'époque tel L'Exorciste ou Massacre à la tronçonneuse, le film s'éloigne de la recette clef du sang et du gore.
Dès les premiers plans du film, Kubrick infuse l'idée d'un drame à venir dans l'immensité d'un lieu. La voiture s'enfonçant dans cette nature oppressante, si grande et si brute, au rythme de cuivre solennel ; l'isolement sera au centre du film.
Cette oppressante sensation d'enferment est renforcée par les nombreux plans symétriques. Cela commence lors de t'entretien, la fenêtre et le bureau au centre de l'image puis deux fauteuils qui leur font face. Pour le moment rien d'inquiétant, on ne se doute de rien et Danny - l'enfant éveillé - non plus.
Puis Danny a sa première vision, la plus intéressante selon moi. Il s'agit de celle où le sang se déverse dans le couloir tel un déluge, jusqu'à recouvrir la caméra. La symétrie de l'image et la surprise de voir autant de sang surgir, résume à travers cet unique plan tous les maux que provoque cet hôtel sur ses occupants hivernaux.
La symétrie confine les personnages dans une psychologie. Ainsi, à deux reprises, Wendy et Danny sont enfermés contre leur gré dans le labyrinthe. Une image forte qui exprime à elle seule la fin de leur séjour. La première survient de manière graphique lorsque Wendy et Danny courent vers le labyrinthe. Un travelling latéral les suit de l'hôtel jusqu'à l'entrée dans la haie, dissimulant leur passage par la carte du labyrinthe. La deuxième est lorsqu'ils arrivent en son cœur. Jack observe la maquette du labyrinthe, un plan qui va se subtiliser par une plongé sur le labyrinthe grandeur nature où Wendy et Danny courent en son centre comme si ils voulaient s'en échapper. La caméra revient de face, les suit en travelling arrière parfaitement symétrique, une fois encore il sont cloitrés dans cette prison végétale.
Le fait d'insister sur leur détention labyrinthique montre leur emprisonnement dans la psychologie de Jack. Les angles du labyrinthe en plongé m'évoquent les sillons d'un cerveau et renforcent l'idée de captivité dans l'esprit dément de Jack. C'est d'ailleurs à cet endroit que se finit le film avec la course poursuite de Danny et Jack. La boucle est bouclée.
Les divers plans au steadicam suivant Danny sur son tricycle procurent également ce sentiment d'oppressement, qui devient croissant lorsque ce même plan réapparaît. Danny est centré dans l'image, on découvre en même temps que lui le chemin qu'il emprunte, ce qui nous immerge d'autant plus dans l'action. Danny arpente l'immense hôtel, tournant dans ce grand labyrinthe. Puis au détour d'un couloir, apparaît deux petites filles vêtues de bleu, identiques, leur voix résonnant en écho. La symétrie quasi parfaite de se plan en amorce de Danny nous plonge dans sa vision. Ce plan à marqué des générations, inscrivant les petites filles trop sages dans l'inconscient collectif de l'angoisse.
Les motifs géométriques sont également extrêmement présent. Tout d'abord les carreaux, ceux-ci sont présent sur les vêtements de chaque membre de la famille Torrance. Dans la mémoire populaire, le carré représente l'imperfection de l'homme, ce qui s'applique tout particulièrement au personnage de Jack. Tour à tour distant, énervé, distrait ... En revanche la récurrence de ce motif sur Wendy et Danny ne m'évoque rien d'autre qu'une étrange et amusante concordance.
Mais les motifs ne sont pas uniquement sur les vêtements, ils envahissent tout le décor. Dans chaque pièce, au sol, aux murs ou au plafond, triangles, carrés, cercles se mélangent. L'accumulation de ses motifs plus au moins coordonnés tant au niveau des couleurs que des lignes, donne une idée de surcharge et d'étouffement.
La folie est le deuxième axe clef de ce film d'horreur. La thématique des masques est récurrente chez Kubrick, les apparences sont trompeuses. Jack est le premier à s'en servir dès son entretien à Overlook. Il se révèle "être" le candidat parfait pour ce gardiennage et répond aux questions d'Ullman de manière escomptée. Mais à chaque réponse, Jack se trahit en adressant un regard à une tiers personne, ici Bill Watson, comme témoin de ses propos. D'ailleurs ici est la seule utilité de Bill Waston qui est totalement muet dans cette scène.
La performance de Jack Nicholson est excellente dans se rôle nuancé. La subtilité de son jeu nous laisse douter de sa bienveillance. Est-ce pour apeurer son fils ou embêter sa femme qu'il évoque la tragédie du groupe Donner avec un sourire narquois ? Est-il sincère quand son fils lui demande si il ne ferra de mal ni lui ni à sa mère ? Et lorsqu' il raconte son cauchemar à sa femme ? Ou est-ce déjà l'aliénation se dissimulant sous un semblant de vérité ? Toutes ces interrogations sont portées à leur paroxysme grâce à la finesse de son jeu, laissant supposer que la folie est présente depuis bien plus longtemps.
La présence de masque ne s'applique pas uniquement à un personnage atteint de folie, Danny en arbore également un, de manière plus innocente et inconsciente. Le visage figé et silencieux de l'enfant, tel un masque Nô lorsque ses visions surviennent. Le masque de Danny s'apparente à son double omniscient, Tony qui le met en relation avec les intrigues passées de l'hôtel.
Wendy quant à elle est authentique du début à la fin. Fidèle à elle même elle s'occupe de son fils et de son mari, jusqu'à ce que ce dernier sombre dans la folie. Elle prend en charge l'entretien de l'hôtel pendant que Jack se consacre à l'écriture, tout en restant présente au près de son fils. Elle est également très convaincante en femme apeurée et protectrice.
Une autre scène m'a également marquée, celle de la discussion avec le barman, Lloyd. Dans cette scène, Lloyd peut s'apparenter au Diable. Ainsi lorsque Jack prononce tel une incantation "I'd give my goddamn soul for just a glass of beer / Mon âme au diable pour un verre de bière", Lloyd apparaît au contre champ suivant, tout de rouge vêtu. Ce personnage est déroutant de part son appariation soudaine, son amabilité et son sourire amicale, mais aussi et surtout, pour son regard direct et pénétrant. Lloyd garde également une part de mystère en raison de son énigmatique discours sur les verres offert par la maison.
Lloyd a un avantage sur Jack, une sorte d'emprise. Un rapport hiérarchique s'instaure entre eux, Jack est assis alors que Lloyd, debout, le domine. C'est Lloyd qui lui fournit l'alcool, l'insinue à boire en lui faisant crédit, l'écoute sans mot dire. Le climat de confiance s'installe rapidement pour Jack qui va se laisser, rapidement, rattraper par son vieux démon qu'est l'acool. Dans cette scène ainsi que dans l'ensemble du film, la teinte rouge est très présente, dans diverses nuances, pour rappeler le funeste destin de la famille.
Jack s'en va donc, son verre à la main, à la rencontre inopinée de Delbert Grady. Quittant ainsi une atmosphère feutrée et tamisée d'une salle de bal pour d'énigmatiques toilettes d'un rouge criard. Delbert est assurément une hallucination. Bien qu'il partage le même nom et la même progéniture avec l'ancien gardien, celui-ci s'appelait Charles et non Delbert. Ce personnage ambigüe éconduit Jack, qui sombre de plus en plus dans la folie.
Ces diverses hallucinations sont symbolisées par la présence de miroirs. Ceux-ci permettent d'accéder au passé de l'hôtel et de rencontrer ses différents occupants.
Jack séquestré de son propre chef dans cet immense hôtel, subit la frustration aussi bien créatrice qu'érotique. En s'enfermant dans cet hôtel pour cinq mois d'hiver, Jack souhaitait ainsi avancer son roman, chose à laquelle il ne parvient pas et qui le pousse dans ses retranchements. La musique le souligne dans la scène où Jack tape à la machine. Sa femme vient prendre connaissance de son avancé, la musique va crescendo. Wendy se rapproche, le son monte. Elle arrive à son niveau et dans un bruit glaçant, Jack tire sa feuille de la machine. La tension et la frustration sont accentuées par la musique de Rachel Elkind et Wendy Carlos.
Quant au désir, ces cinq mois d'enfermement ne vont pas le rapprocher de sa femme, bien au contraire. Leur contact physique et leur présence simultanée dans les plans se raréfient. Cependant Jack semblait déjà distant lors de la visite en famille, se laissant distraire par toutes jeunes femmes quittant l'hôtel. Ainsi, lorsque Jack va enquêter dans la chambre 237, sur les recommandations de Wendy, son désir va se matérialiser en la mystérieuse occupante de la chambre. Cette jeune femme symbolise son fantasme inexaucé en se transformant en corps en décomposition.
The Shining est donc un film d'horreur efficace qui brise les règles du genre (de l'époque) et reste très moderne à travers sa composition et son montage. Kurbrick reste fidèle à lui même avec un film impeccable, des plans explicites et une musique anxiogène. Ce film peut donc être élevé au rang de film culte de part l'originalité de ses plans et ses compositions astucieuses.
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