Après des premières réalisations maîtrisées mais pas suffisamment riches et abouties, et une montée en puissance progressive dans les années 60-70, Kubrick a atteint une certaine renommée en 1980, alors qu'il réalise Shining. A travers une adaptation du roman d'horreur de Stephen King du même nom, le réalisateur nous propose une nouvelle fois une autre facette de son cinéma, puisqu'il explore encore une fois un genre qui lui était jusqu'alors inconnu. On suit donc les tribulations de Jack Torrance, de sa femme Wendy et de son fils télépathe Danny, à travers les dédales de l'Hôtel Overlook, que la famille est censée garder pour l'hiver.


Sauf qu'il ne faut pas oublier que Shining est un film d'horreur. Le directeur de l'Hôtel avertit en effet Jack Torrance, au moment de lui remettre les clefs, qu'un triple meurtre sauvage a été commis chambre 237 de cet hôtel il y a quelques années, élément qui pose déjà les bases d'un décor bien plus terrifiant qu'il n'en a l'air. Alors retentit la musique, électronique et stridente, de plus en plus menaçante. Les personnages sont seuls. Bientôt confronté à la solitude et au manque d'inspiration, Jack Torrance va développer des intentions pas très saines vis-à-vis de sa famille.


Dans la lignée d'Au-dessus d'un nid de coucous de Milos Forman, on retrouve ainsi un Jack Nicholson génial dans le rôle de Jack Torrance, fou furieux dans son rôle de psychopathe refoulé, qui porte seul le film jusqu'à son rang de film culte. Shelley Duvall, qui campe sa femme, s'en sort pas trop mal (à vrai dire, son rôle se limite à être geignarde et à crier); mais le petit Danny, lui, joué par Danny Lloyd, est très bon en petit garçon effrayant.


On raconte qu'il y a forcément un film de Stanley Kubrick avec lequel on garde une certaine distance. Jusqu'ici, je pensais qu'il s'agissait de Lolita pour ma part, qui m'avait en effet laissé sur ma faim. Mais après visionnage de Shining, je suis davantage dubitatif. J'ai toujours critiqué les films en cherchant une quelconque signification rationnelle des éléments du film, ou une évolution logique de l'intrigue. Et il se trouve que Shining m'a plusieurs fois laissé confus, tant je ne savais pas quoi penser des scènes que Kubrick nous propose: qu'est-ce qui rend Jack Torrance fou ? Le manque d'inspiration ? La frustration sexuelle ? L'isolement ? Comment peut-il devenir fou aussi rapidement (une semaine, un mois ?)? A-t-il lui aussi le Shining, ce don de télépathie ? Que ce soit clair: j'ai aimé le film, et contrairement à Lolita j'ai passé un bon moment devant, mais nombreux ont été les éléments ambigus qui ont perturbé ma compréhension du film. Voire l'ont altérée: j'avais parfois l'impression que ce que Kubrick cherchait à nous dire par la forme, cachait une certaine vacuité du fond.


Car au fond, soyons honnêtes. On a beau être au début des années 80, l'intrigue ne va pas très loin: une famille enfermée dans un hôtel, le père qui devient fou et développe des envies de meurtre. C'est la mise en scène de Kubrick qui rend ce film réellement unique, que ce soit par les innombrables (et donc confondantes) pistes de compréhension qu'il donne de l'intrigue ou par la simple composition des plans. Il donne vie à l'Hôtel Overlook à travers maints renforts de travellings, multiplie les vues d'ensemble, insère plusieurs miroirs et même un labyrinthe, le tout dans un décor convaincant, digne d'un vrai huis-clos perturbant. Du coup, ces éléments de forme sont plutôt connotatifs: les miroirs peuvent être interprétés comme la preuve de la schizophrénie de Jack Torrance; l'absence de plans le réunissant avec sa femme instaure une distance relative entre les deux personnages; le fameux plan-séquence avec Danny à vélo dans les couloirs de l'Hôtel qui donne une véritable densité à celui-ci, voire une vie propre.


Mais au final, je pense que la véritable raison de mon dérangement vis-à-vis de ce film est qu'il cherche toujours l'ambiguïté, celle-là même habituellement propre au fantastique: insérer dans un monde bien réel des éléments surnaturels qui feront douter de la vraisemblance de l'univers proposé. Doit-on croire à ces pouvoirs, au Shining ? De cette manière, il traverse les frontières du rationnel et a donc tendance à me perdre.
Cependant, c'est un élément parfaitement subjectif de mon interprétation: d'autres seront plus ouverts que moi à ce délire fantastique et horrifique. Shining reste un bon film, appréciable pour sa forme, moins pour son fond, et culte par ses acteurs (Nicholson bien évidemment, mais aussi le petit Danny).
Il m'a d'ailleurs fait penser à It Follows, sorti récemment, qui joue également sur l'inconscient de ses protagonistes.

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le 18 avr. 2015

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Kevin Soma

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