Shining, 1980, de Stanley Kubrick, raconte l'histoire de Jack Torrance à la recherche de tranquillité pour écrire son livre, qui obtient un poste de gardien dans un hôtel l'hiver pour sa période annuelle de fermeture. Il y emmène sa femme et son fils et très vite des événements paranormaux vont se manifester.



Mise en place d'une atmosphère de peur


Le film installe une ambiance progressive, créant une attente chez le spectateur qui se fait toujours plus curieux vis-à-vis des scènes finales. Notons que la particularité du film est d'être très lumineux, de ne pas trop jouer avec la peur du noir. Les scènes sont très souvent bien éclairées. Nous pouvons relier ce constat avec le titre même du film qui signifie « brillant » en français.

L'isolement.
Le générique de début nous montre une voiture s'enfoncer dans les profondeurs d'un paysage sauvage et montagnard qui devient neigeux sur fond de musique inquiétante. Apparait alors le grand hôtel reclus du monde, qui nous évoque le topos du manoir des œuvres fantastiques. Jack doit garder cet hôtel pour l'hiver, l'hiver étant une saison aride, le danger des éléments naturels se dessine déjà, d'autant plus que par la suite les communications avec le monde extérieur seront difficiles à cause de tempêtes de neige. De plus, il se trouvera seul avec sa femme et son fils uniquement, ce qui renforce cette solitude.
Cet isolement nous emmène vers un autre monde où la société des hommes unie contre ses peurs n'a plus d'emprise.

L'effet d'annonce.
Le film joue sur le suspense, apportant une dimension prophétique en glissant des détails annonçant les scènes finales. Nous allons voir quels sont ces détails.
L'ironie tout d'abord décrit le futur avec humour et décalage, ainsi lors de l'entretien d'embauche de Jack :
6'00 : « Ils adoreront », 8'30 « Elle adore les films d'épouvante ». Cette ironie provoque le sourire chez le spectateur qui lui sait et perçoit le décalage mais cela le met déjà mal à l'aise. Ces affirmations préfigurent déjà la folie de Jack, usant d'un humour similaire lors de la châsse à l'homme dans les couloirs de l'hôtel.
Puis à 6'20, il nous est fait le récit d'un événement antérieur similaire à celui qui se produira. L'histoire d'un gardien qui a tué toute sa famille avec une hache. Ceci met le spectateur dans l'inquiétude et l'attente d'une répétition.
Ce récit sera alimenté par des visions sanglantes des fantômes des jeunes filles, visions uniquement perçues par Danny et le spectateur. Ces visions sont violentes de par leur surgissement brutal venant casser la continuité du film. 9'20 : Danny voit une inondation de sang partie des ascenseurs, se déversant dans le hall de l'hôtel à plusieurs reprises, le sang est bien évidemment lié au crime, on voit même le visage effrayé de Danny, la bouche grande ouverte, muet, tétanisé par la peur, ce qui crée un effet mimétique chez le spectateur. Danny voit aussi l'inscription REDRUM faite avec ce qui semble être de l'encre rouge ou du sang sur une porte. (1'01'00)
Le directeur de l'hôtel parle aussi d'un mal d'enfermement, d'une sorte de claustrophobie menant à la folie, ce qui préfigure le mal de Jack. Un malaise psychologique serait ici le départ de la peur.
Dans la voiture en allant à l'hôtel, Jack fait le récit d'un cas d'anthropophagie avéré dans les parages, ce qui renvoie à une dimension archaïque et rajoute une couche de peur et d'anticipation chez le spectateur.
Lors de la visite de l'hôtel, un employé, Dick Hallorann, demande à Danny de ne jamais mettre les pieds dans la chambre 237. Ceci ajoute encore un effet de curiosité mêlé à de la peur chez le spectateur qui s'attend à découvrir quelque chose d'effrayant dans cette pièce.
Jack fera plus tard un rêve quasi prémonitoire dans lequel il se verra tuer toute sa famille.
Le spectateur est dans l'attente, il craint les possibles tournures du scénario. Plus le film se déroule devant ses yeux, plus approche le moment fatidique où le drame se manifestera. Le spectateur a peur pour ce qui doit arriver. Il sait que quelque chose d'horrible se passera mais il ne sait pas de quelle manière.




L'inconnu.


Plus que l'exhibition de scènes violentes, c'est l'inconnu qui suscite la peur dans Shining. La peur tient à ce que l'homme ne maîtrise pas, ce qui lui échappe.
La peur tient bien sûr à la mort, cet inconnu incarné par Jack qui pourchasse Wendy et Danny dans l'hôtel, mais à bien d'autres choses encore.

Le surnaturel.
Rappelons bien sûr que Shining est un film fantastique ce qui suggère des éléments surnaturels surgissant tout au long du film.
Le surnaturel se concentre essentiellement dans le personnage de Danny déjà habité d'un étrange pouvoir appelé par Hallorann, « le Shining », pouvoir que ce dernier possède aussi lui-même. Danny est le fils de la famille Torrance, c'est un jeune enfant incarnant l'innocence. Ce paradoxe entre l'innocence et le surnaturel crée un malaise chez le spectateur. Nous pouvons ici parler d'inquiétante étrangeté.
Danny a des visions comme nous en avons parlé précédemment, mais il s'est constitué un ami imaginaire du nom de Tony qu'il fait parler lui-même en bougeant son index. Ceci pourrait paraître presque normal vu son jeune âge, mais Tony sait des choses qu'il ne devrait pas savoir. 8'30 : il sait que Jack est embauché et il sait qu'il va appeler Wendy, 9'20 : il sait que des choses horribles vont avoir lieu dans l'hôtel et ne veut pas y aller. Suite à cela le spectateur se prend à croire à l'existence de Tony. Celle-ci est attestée comme étant presque certaine dans une salle de bain, lieu caractéristique où d'autres événements bouleversants auront lieu. Cette scène de la salle de bain cherche à provoquer l'angoisse par la musique et le dialogue étrange de Danny et Tony mêlés au traveling compensé s'approchant de la porte ouverte sans laisser apercevoir le visage de Danny.

La chambre 237
Quand la chambre 237 est ouverte on ne sait comment, Danny est agressé. Wendy suspecte Jack à tort. Ils ne sont censés se trouver qu'à trois dans l'hôtel, on se pose donc la question de l'origine de ces blessures. L'attente suscitée par l'interdiction de la visite de la chambre 237 est renouvelée chez le spectateur qui se trouve entre peur et curiosité.
53'10 : on avance encore dans l'intrigue de la chambre 237. Hallorann a une vision, il découvre que la chambre 237 a été ouverte ce qui suscite chez lui la peur : les yeux écarquillés, le souffle qui s'accélère, des tremblements, des bruits semblables aux battements de cœur. On voit aussi Danny, doté du même pouvoir, tremblant, bavant, tout entier possédé par sa peur. Ceci angoisse davantage et prépare le spectateur qui se trouvera tout de suite après face à une scène cherchant à provoquer en lui la peur.
53'50 : La caméra en focalisation interne visite la pièce, cherchant l'élément inconnu qui fait peur. On prend les yeux de Jack. Il avance doucement vers une porte entrouverte, le suspense s'intensifie, puis il découvre une salle de bain où se tient une personne dans la baignoire tout au fond. On voit Jack apeuré, prenant son souffle. Le rideau de douche est écarté doucement. C'est là que la dimension charnelle de la peur évoquée par Freud s'illustre. Jack voit une femme nue, son visage passe de la peur au désir. Attiré par la femme, il l'enlace, celle-ci se transforme soudainement en vieille femme à l'aspect repoussant. Comme Jack, le spectateur éprouve du dégoût. Les rires déments de la femme agressent le spectateur qui fuit avec Jack.
Il est intéressant de noter que Jack qui est censé apporter la peur, a peur lui aussi.


Jack.
Jack est le personnage incarnant le bourreau, en opposition avec Wendy et Danny les deux victimes. Nous avons ici le topos des films d'horreur de la femme faible. Jack est par contre celui qui fait peur.
32'00 : le visage de Jack fixant le vide avec un regard perçant nous dévoile déjà sa folie et amplifie la crainte du spectateur pour ce personnage ; le sifflement amplifie l'effet de la scène.
43'20 : Jack rêve qu'il découpe sa famille en morceaux, chose qu'il refuse pour le moment, car ce sera son projet bien plus tard. On lit la peur sur son corps, des cris, des sueurs, de la bave, la respiration accélérée. La musique une fois encore amplifie l'effet de peur. Jack a peur de lui-même, de cette deuxième nature qui est en train de prendre le dessus sur lui-même.
Il sombre plus tard complètement dans la folie (47'25) en se rendant au bar. Comme Faust, il vend son âme au Diable mais pour un verre de bière. Le barman, un certain Lloyd, semble lui être familier. On comprend qu'il s'agit de la part de mal qui est en lui. Jack nie avoir touché Danny mais se remémore un « accident », comme il dit, où il a cassé le bras de son fils, le racontant tout en le minimisant. Cela montre qu'il n'était à l'origine pas tout à fait sain d'esprit. L'emploi d'un langage vulgaire nous montre que Jack est devenu beaucoup plus violent. Wendy découvre la vérité au sujet de la blessure de Danny, mais il est trop tard, Jack n'est plus lui-même. Le spectateur sent approcher l'heure fatidique après cette montée de la violence.
1'01'00 : Jack tourne sa violence contre Wendy qui souhaite éloigner son fils de l'hôtel. La musique simulant les battements de cœur complètent la peur que le spectateur éprouve vis-à-vis de Jack. Ce dernier est possédé par la haine qu'il éprouve pour Wendy.
Jack retourne au bar et découvre un bal peuplé de gens dont la présence ne l'étonne pas, soulignant une fois encore la folie qui l'habite. Il rencontre l'ancien gardien qui a autrefois massacré sa famille à coups de hache. Il l'incite à massacrer sa femme et son fils pour leur infliger une correction.
Ce changement de personnalité chez Jack, devenu un tueur fou, ira de paire avec sa démarche titubante provoquée par sa chute du haut des escaliers lors de son face à face avec Wendy. Jack est aliéné. Le spectateur qui éprouve au début une certaine sympathie pour le personnage en a désormais peur tout comme les personnages.



Le passage à l'acte.

Jack coupe toute communication avec le monde extérieur pour mettre à bien son plan. Il désunit ses victimes du monde extérieur pour les empêcher d'annihiler leurs peurs en s'unissant.
Wendy se rend au bureau, tenant une batte de baseball à la main ce qui nous montre qu'elle se tient sur sa défensive. Nous pouvons parler ici d'instinct de survie. C'est alors qu'elle découvre la folie de son mari en lisant ses écrits ne contenant qu'une seule phrase : « All work and no play makes Jack a dull boy » répétée un nombre impressionnant de fois avec à chaque fois un jeu différent sur la forme. On lit la peur sur le visage de Wendy, qui crie face à son mari devenu inconnu. Celui-ci se fait violent, alliant ses injures de remarques pince-sans-rire. Son humour décalé est le signe de sa folie. Wendy, dominée par la peur, tout en pleurant et criant, lui assène un coup de batte de baseball le faisant tomber des escaliers. Elle le traîne assommé jusqu'au garde-manger où elle l'enferme, isolant le danger. L'isolement sert ici à contenir la peur, à l'éloigner de soi. 1'23'50 : Wendy s'arme d'un couteau pendant que Jack furieux se réveille et crie. Voyant que sa technique échoue, il essaie de la mettre en confiance faisant réapparaître le Jack qu'elle a connu, le suppliant. Essayant de la faire agir dans son sens par la voie de la peur, il se rend compte que c'est inefficace et supprime donc cette peur pour parvenir à ses fins, la remplaçant par l'apitoiement. Wendy en pleurs fait preuve de courage et fuit. Jack remarquant que sa technique n'a toujours pas marché ne joue plus son rôle et utilise à nouveau ce même humour évoqué précédemment ponctué de rires déments.
Wendy réalise ensuite qu'elle ne peut fuir de l'hôtel, elle devra affronter sa peur encore une fois.
Le surnaturel intervient à nouveau : l'ancien gardien ouvre la porte du garde-manger, délivrant Jack prêt à massacrer sa famille.
1'31'15 : Danny semble possédé. Sa démarche étrange et la répétition du mot REDRUM nous montrent qu'il n'est plus lui-même. L'inconnu en son corps suscite la peur. Il s'empare du couteau pris par Wendy pour se protéger, objet évoquant le meurtre, et d'un rouge à lèvre avec lequel il écrit l'inscription REDRUM. Le fait que celle-ci soit écrite avec du rouge à lèvre et non du sang comme on aurait pu s'y attendre provoque un recul de la peur, cela fait presque sourire. Une des visions de Danny prend vie. Le rythme de sa parole s'accélère, intensifiant la scène. Le mot REDRUM jusqu'alors énigmatique prend son sens quand Wendy se réveille apeurée s'apercevant dans le miroir qu'il s'agissait du mot MURDER écrit à l'envers. Une musique angoissante est ici adoptée pour souligner la découverte et au même moment, alors que l'idée du meurtre est énoncée, sa mise en œuvre frappe à la porte. La peur ici tient à la peur de la mort, à l'identification aux personnages dont on a peur de se séparer.
Jack casse la porte violemment avec une hache. Il rentre par effraction dans le monde confiné de Wendy et Danny. Wendy s'enferme dans la salle de bain, (soulignons ici une troisième scène décisive se déroulant en ce lieu) permettant tout d'abord à son fils de s'enfuir. Il y'a ici l'idée d'un instinct maternel, protégeant l'enfant du danger. Elle ne parvient pas en s'enfuir, ne passant pas à travers la fenêtre, elle est mise une fois encore face à sa peur. Jack dit avec humour : « Little pigs, little pigs, let me com'in » en référence au conte les Trois Petits cochons. Cela rappelle les peurs enfantines. Jack s'associe lui-même au grand méchant loup. Chaque coup de hache fait retentir un cri, la peur se lit chez Wendy en pleurs qui panique face à la venue de Jack. Elle se défend malgré tout. Jack s'enfuit. Nous pouvons noter que pour le moment Jack n'a fait de mal à personne et que Wendy en se défendant a déjà créé deux blessures.
Danny se cache, mené par la peur, pour éviter le grand méchant loup à la démarche difforme.
Arrive Hallorann venu porter secours à la famille Torrance. Son long voyage s'achève par sa mort la hache dans le cœur. Il y'a un effet comique dans sa mort inutile, d'autant plus qu'il est un personnage secondaire. La peur de Danny qui crie face à cela est en décalage avec le spectateur qui serait plutôt amené à rire.
1'43'11 : le spectateur suit Danny dans le labyrinthe enneigé. Jack le pourchasse. Il y a peur de l'affrontement. Jack le suit à la trace mais Danny réussit à développer un stratagème pour tromper son père. Par sa raison il fuit la peur.
Wendy est elle effrayée par des images sanglantes. Seules images pouvant effrayer le spectateur avec celle de la vieille femme de la salle de bain de la chambre 237.
Jack est mort gelé, son visage en devient davantage effrayant.
Notons que dans ce final, les attentes du spectateur ont été mises en déroute. Les victimes s'en sont sorties, le seul meurtre, celui d'Hallorann ne provoquait même pas la peur. Le film se fonde surtout sur le suspense, il est psychologique. Nous pouvons dire après avoir vu le film qu'il y'avait plus de peur que de mal. Mais c'est cette peur apparemment injustifiée après coup chez Wendy et Danny, car indemnes, qui leur a permis de survivre.
King-Jo
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le 16 mai 2011

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