Helga Reidemeister a-t-elle vu le premier film de Béla Tarr Le Nid familial avant de faire Si c'est ca le destin ? Difficile à dire tant les dates de sortie coïncident. Question cinéphile qui pourrait être sans grande importance si le second ne reprenait autant d'éléments du premier, ou plutôt les poursuivait, les relançait et finalement les transcendait.


Si le film de Tarr tire notamment sa force en ne choissant pas un personnage principal mais des points de vue multiples et en proposant une fiction qui explose à la fin en plans-interviews de chaque personnage donnant sa vision des faits, rêvant d'un autre avenir. Le film de Reidemeister rend compte du nid familial en adoptant le point de vue d'une mère/femme/amante, Irène, — même si la parole est précisément redistribuée — qui toute sa vie a essayé de ne pas répéter le schéma d'abscence d'amour qu'elle a vécu jeune. Comme si ces personnages répétaient les mêmes erreurs, les mêmes types de relations sans issues, en partie déterminées socialement, du Nid familial, et ne pouvaient échapper au même destin. Destin tellement identique que l'échappatoire illusoire s'illustre pareillement dans les deux films : à la fête foraine, dans un manège, en envol, seul moment d'insouciance véritable, pour la famille de Tarr et Irène, sourire aux lèvres.


Dans tous les cas, si Reidemeister n'a pas vu le film de Tarr, la ressemblance entre les vies d'appartement de la RFA (du point de vue documentaire) et de la Hongrie soviétique (de la fiction) de la fin des années 70 est stupéfiante. Il n'y a presque que la langue qui diffère, tant le cinéma se charge de dresser le constat similaire. Et des deux côtés la même question : est-ce que toutes les relations sont des relations de violence ?


La fonction sociale du cinéma là-dedans, selon Reidemeister, ancienne assitante sociale qui signe ici son film de fin d'études (je souhaite sincèrement à tout le monde un film de fin d'études aussi ingénieux, attentionné et courageux), c'est de comprendre comment on en arrive là, et comment changer la situation en en dressant un constat, en prenant du recul. Dès la première scène, la cinéaste inscrit le contrat tacite du film : Irène apprend à se servir d'une table de montage. Comment avancer, reculer, mettre sur pause, couper le son. Et cette mère qui réagit à ce que ses filles racontent d'elle dans son dos et de l'expérience, qu'elles ne comprennent pas l'aspect sociologique d'un tel film, pourquoi on s'intéresse à elles en particulier.


Dès lors, toute la violence mise à nue par la caméra échappe au voyeurisme habituel, puisque Irène réapparait plusieurs fois dans la table de montage, aux manettes. Elle a consentie et subie une partie des conséquences, notamment la présence de la cinéaste lors de moments trop intimes, honteux. Car le geste de Reidemeister est d'interrompre le quotidien pour mieux le questionner ou au contraire de le relancer lorsque ses personnages se taisent par colère, frustration, tristesse, etc. Qu'est-ce qu'implique de trouver/capter la vérité/réalité ? Il faut creuser, même si ces rapports avec la caméra sont eux encore violents.


Ainsi, dans cette salle de montage auto-réflexive, cette violence consentie pour se remettre en cause, cette interruption du quotidien pour en analyser les gestes, c'est tout un disposif brechtien qui se met en place. Un film qui fait le tour des angles possibles de la violence, des difficultés à comprendre et d'un tiers-thème qui conditionne les deux autres : la pression sociale, ce qui se cache sûrement derrière ce que le père appelle bêtement le destin.


Irène c'est ma mère, et sûrement un bout de la vôtre.


6,5.

SPilgrim
6

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le 21 sept. 2023

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