And here I knew. The beauty of the moment, that moment, was beyond any words.

Le projecteur éteint, tout le monde quitte la salle. Nous partageons tous ce même sentiment une fois dehors. D’un film, quelle qu’en soit sa nature, je n’en garde que quelques images, désordonnées, accélérées, rognées, recoupées. C’est comme si nous tentions de recomposer cette expérience en l’espace de quelques secondes, la résumer à ces moments qui nous ont profondément marqués. Si notre mémoire reconstruit par fragments, les films rejoignent alors aussi le pays des souvenirs, nos souvenirs. Jonas Mekas n’est autre que ce spectateur qui se souvient d’un film inachevé, d’une bobine toujours projetée, celle de sa vie fragmentée qu’il n’a toujours pas oubliée.


As I Was Moving Ahead, Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty, y a-t-il plus beau titre pour convier nos songes ? Comme une opération à crâne ouvert, à cœur ouvert, Mekas nous réapprend à voir et à vivre. Arrêtons notre course insipide. Prenons le temps ne serait-ce que de prendre le temps. Immobilisons-nous devant l’insignifiant. La beauté se trouve dans ces fragments, ces insoupçonnés qui marquent à jamais notre mémoire et rejoignent cette contrée perdue qu’on nomme bonheur, bien plus proche qu’on ne le croit. « Happiness is beauty. »


Ainsi, comment se fait-ce que nous semblons partager les instants de joie de Mekas sans jamais les avoir vécus ? Qui a-t-il de nous dans ces images ? À travers un arbre en fleurs, une soirée orageuse, une nuit d’insomnie ou un rayon de soleil qui vient fendre l’obscurité d’une chambre, cet homme nous convie tous à nous regarder nous-mêmes. Les moments restent les mêmes, des gestes négligeables, quelconques. Ceux-là même façonnent pourtant notre vie et notre mémoire. Les souvenirs, cette trace qu’il en subsiste, diffèrent seulement d'un individu à un autre après le passage du temps. Ainsi, dans cette poésie du local, Mekas touche des brides de l’universel, et crée d’authentiques réceptacles que nos expériences remplissent à notre insu.


Nous imprégnions ces images, car elles nous rappellent ces moments presque oubliés et pourtant si précieux. Revoir la vie de Jonas Mekas, c’est revoir sa vie, s’en souvenir sans jugement, essayer d’en capter la seconde de bonheur, avant que cet instant ne s’efface de notre mémoire et qu’un autre ne vienne le remplacer, peut-être encore plus beau que le précédent. Couche après couche, nous recomposons cette joie qui semblait pourtant nous avoir jusqu’alors abandonnée. Si Mekas nous partage son allégresse, c’est pour mieux convier la nôtre à se manifester et à rentrer dans la danse. Viens partager les lueurs de beautés qui t’habitent, ces étincelles de bonheur, avec les éclats de ma mémoire, les rayons de mon extase.


Suis-je fou d’avoir eu ce rêve, celui de vivre éternellement dans les souvenirs d’un autre, afin que pour toujours je puisse me remémorer ma propre vie ?

SPilgrim
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le 27 janv. 2018

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