Difficile de ne pas voir en Sibyl un parallèle cru entre la fiction et le réel. Car ce que nous met en scène Justine Triet résulte d'une réflexion sur le cinéma et plus précisément sur l'interprétation des comédiens et comédiennes, mais aussi sur l'inspiration d'une autrice vis à vis de ce qui l'entoure, et ce que ça soulève comme problèmes moraux.
Qu'il s'agisse des menaces masculines, du syndrome de l'imposteur ou bien de la pure manipulation, le film adopte une forme de froideur dans son rythme et ses plans, souvent composés avec des couleurs froides et une lumière bien blanche, mais sans pour autant être dépourvu de quelques moments comiques qui font rire jaune. Souvent car l'absurdité d'une situation amène certaines séquences dans une maladresse un peu gênante mais surtout dans un quatrième mur percé qui transgresse les codes cinématographiques. Les acteurs jouent des acteurs, les actrices jouent des actrices. Par conséquent, le trouble un peu psychologique dont ils souffrent tous s'articulent autour de l'identité difficile à trouver, et d'un contrôle des émotions parfois complètement inadéquats à la situation. Mais cette réflexion tourne aussi, et surtout, autour de Sibyl, romancière devenue psychologue, qui dresse un parallèle de son passé avec celui de l'actrice qu'elle rencontre. Ce qui va lui donner l'inspiration pour son livre qu'elle n'a jamais réussi à commencer. Cette sorte de fascination pour le malheur de l'autre et d'en faire une source d'idées pour écrire une œuvre est assez démentielle. Et c'est toujours filmé avec un calme plat, ce qui accentue le coté immoral de la chose. Et Virginie Efira qui la campe propose un jeu tout aussi glaçant. Personnage torturé intérieurement qui ne laisse rien paraître et joue sur son rapport de force pour tenter de profiter de la faiblesse de l'autre. Tout l'inverse du personnage d'Adèle Exarchopoulos qui vit son malheur extérieurement.
Et ce panel de problématiques nous fait ressentir un écho propre au réel, un peu comme si la construction de ce film avait été aussi l'origine de certains dérapages, et d'une obsession amoureuse d'un passé difficile. Mais derrière tout ça, ce qui est fou c'est que le film n'a du coup pas vraiment de récit. Comme le film est conscient qu'il en est un, tout ce qui suit n'a pas vraiment d'intérêt puisque Justine Triet s'offre une liberté à choisir ce qu'elle veut montrer. C'est parfois montré par le biais de quelques dialogues qui dressent l'écho entre le livre que Sibyl écrit et ses personnages, mais aussi du tournage qui se déroule en Grèce (très drôle réplique par ailleurs à la fin du film, où quand on demande à la réalisatrice si elle avait rêvé de tourné là bas, elle explique que non, que c'était juste parce que c'était loin.) Finalement, le seul endroit où tout ceci est assez éloigné, c'est dans les flashbacks aux couleurs chaudes, avec quelques scènes de sexe joliment filmées, et le cabinet de Sibyl qui reçoit régulièrement cet enfant qui a du mal à vivre la disparition de sa mère. Et il est aussi intéressant de remarquer que toute cette mise en scène joue aussi sur la coté très antipathique de certains d'entre eux.
Sibyl est donc un film assez étrange mais qui dégage une certaine puissance esthétique avec ce parallèle évident, et cette prise de conscience de faire un film.. dans un film. Le souci principal reste qu'il y a beaucoup beaucoup de thématiques abordées, dont certaines sous exploitées et qu'on ne comprend pas vraiment. Reste que Justine Triet réussit à trouver un juste équilibre pour livrer un drame un peu cynique par moment, et se permet des dérapages contrôlés qui auraient mérité aussi à aller plus loin.