Pour son troisième long métrage, Monia Chokri signe une comédie romantique que l'on pourrait envisager comme une version féminine et féministe de La vie d'Adèle, dont elle reprend les thèmes et la construction : la rencontre entre deux êtres qui n'ont rien d'autre en commun qu'une puissante attirance physique l'un pour l'autre et quelques envies d'ailleurs, la torride passion charnelle qui va faire imploser un couple et interloquer une galerie de personnages archétypaux, l'illusion que l'amour peut combler les gouffres sociaux-culturels, et enfin, inéluctablement, la renonciation lucide, le plan final solitaire.

Mais à la condescendance et au regard hétéro vicelard de Kéchiche, Monia Chokri répond par un female gaze moderne, drôle, audacieux, et par une interrogation moins politique et plus intime : est-ce qu'on peut être en couple sans baiser ? est-ce qu'on peut baiser sans s'aimer ? est-ce qu'on peut baiser dans son couple et en-dehors de son couple et trouver ainsi l'équilibre ? pour que les coeurs battent longtemps à l'unisson, vaut-il mieux une entente intellectuelle ou une entente sexuelle ? l'ennui, ça arrive au bout de combien de temps ? qu'arrive-t-il lorsque l'on ne sublime plus ? et la fidélité, ça rime encore à quelque chose ?

Si son héroïne (magnifique Magalie Lépine-Blondeau) commence par vaciller, elle est en réalité puissante, sûre de ses désirs, forte et respectée dans sa sexualité, même avec une laisse autour du cou ou lorsqu'elle a pitié d'un ex. Elle sait ce qu'elle veut, elle sait ce qu'elle aime, et sait avec quoi elle est prête à concilier et ce qu'elle ne laissera pas passer.

Les scènes d'amour, de baise, sont celles d'une femme qui filme une femme avec pudeur et réalisme, et rarement la pulsion de désir pour un homme (presque caricatural de virilité) aura été montrée de façon aussi sensuelle et joyeuse.

Et si la passion ne peut raisonnablement pas l'emporter, celle qui s'y est jetée à corps et coeur perdus n'en ressort pas humiliée, mise à l'écart par quelqu'un qui serait trop bien pour elle. C'est elle, au contraire, dans ses attentes légitimes tout comme dans ses intransigeances discutables, qui décide de ne plus y croire lorsque tout enfin semblait permis, dans un geste que l'autre accepte avec compréhension, dans une gratitude mutuelle, dernière élégance après une parenthèse simple comme un beau plan cul.

Nappé d'une photographie chaleureuse, bourré de décors cosy et porté par une langue virevoltante capable de créer l'hilarité en confondant Rimbaud avec Sardou, Simple comme Sylvain est le nouveau joli coup de griffe d'une autrice décidément à suivre pour ceux qui affectionnent la fraîcheur, la malice, l'humour, la poésie et le culot du cinéma québécois.

AlexandreAgnes
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le 16 nov. 2023

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