Sinners
6.7
Sinners

Film de Ryan Coogler (2025)

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Sinners s’ouvre comme une danse macabre en costume trois pièces : deux frères jumeaux, même gueule, même souffle, même sang, incarnés par Michael B. Jordan qui se dédouble avec un aplomb presque troublant. On ne distingue pas encore dans ce miroir les promesses d’un drame intime, mais c’est justement là que le film accrochera son spectateur.


La caméra, elle, ne se contente pas de montrer. Elle rampe, elle glisse, elle tourne autour des personnages dans un rythme visuel incessant, comme un fauve enfermé dans une cage trop étroite. Les travellings collent aux basques de nos héros malgré les grands espaces qui s'étendent autour d'eux, et nos emmènent dans la préparation de cette soirée, singeant peu à peu le huis-clos de la seconde partie. On assiste à une chorégraphie où le cadre respire à la place des hommes et la musique s'invite déjà en de brefs moments. Ryan Coogler orchestre un renouveau pour ces héros, un renouveau qui sera de courte durée et qui rappelle un autre film de vampires aussi original en son temps : Une nuit en enfer.


Mais ce qui démarque encore plus Sinners du film de Robert Rodriguez où la musique s'invitait dans l'histoire via la groupe de rock du Titty twister et de manière mémorable sous les traits de Satanico Pandemonium/Salma Hayek, c'est qu'elle surgit ici dès l’ouverture comme une malédiction. La voix off murmure que les forces obscures aiment les notes autant que le sang. Alors les pianos grincent, les percussions halètent, et chaque accord de guitare devient un pacte signé dans la pénombre. On comprend vite que la bande-son n’est pas un simple décor : elle est le souffle souterrain du récit, un démon qui chuchote à l’oreille des images et nous invite littéralement à cette soirée maudite.


Et quand elle démarre, le montage, lui, joue au funambule. On saute d’un plan à l’autre avec une continuité étrange, comme si chaque geste découlait du précédent, même quand le décor change. On reste prisonnier d’un mouvement unique, haletant, hypnotique.


Mais avant ça, l'arrivée du premier vampire fait basculer le film. La porte se referme sur un sauvetage maquillé, l’air change, et le film révèle ses crocs. Ce n’est plus seulement un drame, c’est une descente aux enfers déguisée en élégie. Tout ce qui semblait encore tenir à la raison se dissout dans une ivresse sanguinolente. On prend part au combat pour la survie de notre petit groupe de héros. On s'inquiète pour eux, fort de déjà connaître tous les ressorts vampiriques, de l'ail à l'invitation en passant par le soleil et l'eau bénite, ce qui donne lieu à quelques échanges sous tension entre les personnages, mis à rude épreuve lors d'une nuit hystérique.


Et quand le soleil se lève enfin, il reste dans l’air un goût de fer et de cendre, une odeur de partition brulée, comme si le film avait laissé derrière lui la trace d’un vieux blues maudit. Sinners n’est pas seulement une histoire de vampires : c’est une partition en clair-obscur, une complainte où chaque note saigne et chaque silence grince. Ryan Coogler y compose une tragédie moderne, à la fois intime et mythologique, où les fantômes de l’histoire finissent par s’inviter au banquet des damnés. Ils le regretteront.

Quoiqu'il en soit, on en sort ravi, les oreilles encore habitées par cette musique infernale, le souffle court comme après une danse trop longue avec la nuit.


RicowRay
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le 7 sept. 2025

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