Slalom est une bonne surprise. Certes, il n’évite pas certains clichés et passages obligés relatifs à son sujet : évidemment, son héroïne est une oie blanche qui ne s’intéresse pas aux garçons (du moins au début). Évidemment, elle évolue au sein d’une famille trouée de part en part, avec un père complètement absent et une mère démissionnaire qui ne comprend pas sa passion pour le ski. Évidemment, son entraîneur sera son pygmalion et la formera pour tout-y compris, donc, dans sa sexualité naissante. Évidemment, elle ne dira rien à personne et se terrera dans le silence pendant la majeure partie du métrage. Et puis, en-dehors de cela, on trouve certains échanges un peu caricaturaux, écrits à l’arrache, et un jeu d’acteur parfois en demi-teinte-malgré une excellente prestation de la part des deux têtes d’affiche- qui gâche quelque peu notre immersion dans le film.


Toutefois, il serait bien malhonnête de notre part de réduire Slalom à un simple film à thèse sur les violences sexuelles dans un milieu donné, ou à une opposition binaire entre un monstre et sa victime : certes, le film emprunte plus volontiers le point de vue de Lyz et n’est pas tendre envers son coach, Fred. Mais il se révèle bien plus subtil dans son déroulement. Fred n’est pas (ou pas seulement) un prédateur sexuel attiré par la chair fraîche à laquelle son statut d’entraîneur lui donne accès : c’est aussi un homme bouffé par ses échecs qui tente de se « rattraper » en projetant ses victoires dans celles d’une gamine pleine de potentiel, au point de ne plus savoir où placer les limites dans leur relation. Et Lyz n’est pas (ou pas seulement) une proie passive : c’est aussi une jeune fille solitaire qui va se raccrocher au seul adulte lui témoignant un semblant d’attention (et qui, pour conserver cette même attention, recherchera quelquefois des contacts charnels). Leur relation est ambivalente, nourrie de sentiments peut-être sains à son commencement, mais pervertis depuis- et c’est bien ce qui la rend, paradoxalement, si malsaine. Le choix des acteurs est d’ailleurs particulièrement judicieux : d’un côté, Jérémie Rénier et son corps musclé, dominateur, mais profondément désirable. De l’autre, Noée Abita, qui malgré son corps de femme, conserve un visage d’enfant et une moue innocente…
L’ambiguïté du film se reflète dans cette mise en scène qui, malgré son manque de fulgurance (mise à part la scène illustrant l’affiche, qui tente quelque chose d’un peu original, on peut déplorer le peu de relief de l’ensemble) n’en est pas moins d’une grande intelligence : parce que le film se déroule en milieu sportif, ce sont les corps et leurs interactions que va filmer Charlène Favier. Les plans sont systématiquement rapprochés, au plus près de l’anatomie des personnages, instaurant d’ores et déjà une atmosphère charnelle ; les gestes de l’entraîneur envers sa protégée, d’abord professionnels (il ne s’agit que de rééquilibrer ses mouvements ou de lui poser des électrodes) apparaissent rapidement comme sensuels ; il en va de même pour certaines lignes de dialogues auxquelles il est difficile de ne pas déceler un double-sens : Fred déclare ainsi, en faisant le bilan d’une course de slalom : « Son atout [A Lyz], c’est qu’elle a pas peur…elle en veut…elle a faim… ». Très vite, les frontières se brouillent entre l’utilisation du corps comme d’un outil de travail destiné à réaliser une performance (et que l’on doit muscler dans cette optique) et l’usage intime, sexué que l’on peut faire de ce même corps en pleine mutation. Les rares (mais très réalistes) scènes de sexe ne sont qu’une exacerbation de l’ambiance générale du film : l’ambiance d’une mue brutale, d’un passage à l’âge adulte violent, empoisonné. Tout cela est très bien démontré, ou presque : il est regrettable qu’à trop consacrer son film à l’évolution physique de son héroïne, la réalisatrice n’ait accordé à son évolution morale qu’une place trop timide :


Si on excepte son « non » final, assez ténu par rapport au reste, Lyz fait du surplace psychologique pendant presque tout le film ; malgré tout ce qu’elle peut traverser, elle reste une enfant, avec des décisions et des réactions d’enfant. Si cette absence de changement peut être cohérente dans un premier temps, une plus grande « progression » à ce niveau dans la deuxième moitié aurait rendu le propos un peu moins bancal.


Mais malgré cette relative partialité, Slalom dispose de suffisamment d’étoffe et de finesse pour convaincre son spectateur, et s’élever bien au-delà de son sujet de départ pour illustrer un thème plus universel : la confrontation de l’adolescent avec le monde adulte. Et les stigmates profondes qui peuvent en résulter.

Créée

le 26 mai 2021

Critique lue 255 fois

3 j'aime

3 commentaires

Dany Selwyn

Écrit par

Critique lue 255 fois

3
3

D'autres avis sur Slalom

Slalom
lugdunum91
8

Slalom: Magnifique premier film!

Vu à l'avant première aujourd'hui en présence de la réalisatrice Charlène Favier qui signe là un premier film détonnant abordant sans détour des thèmes sensibles tel que le rapport au corps, les abus...

le 29 oct. 2020

22 j'aime

8

Slalom
Cinephile-doux
6

Hors piste

Slalom aborde un sujet délicat, à une époque où les langues se délient enfin et révèlent des affaires de violences sexuelles à l'encontre de mineur(e)s dans le monde du sport (judo, patinage, tennis,...

le 12 déc. 2020

13 j'aime

Slalom
D-Styx
8

Du cinéma, au cinéma !

La première séance de reprise après plus de six mois de fermeture des salles obscures a, pour tout cinéphile, une saveur toute particulière ! Quel plaisir de voir autant de premiers films dès la...

le 27 mai 2021

11 j'aime

1

Du même critique

Assassination Nation
DanyB
7

Ecran de fumée

Cette critique ne fera d'"Assassination Nation" qu'une analyse partielle: certains aspects ne seront que peu explorés, même si tout aussi intéressants: parmi eux, on peut mentionner le côté très...

le 2 janv. 2019

24 j'aime

2

La Peste
DanyB
9

La condition pestiférée...pardon, humaine

Ce que j’aime bien avec Camus, c’est sa façon, sur un ton neutre et avec des mots simples, de nous dire la vérité. Cette vérité, on avait pu la soupçonner auparavant, mais sans forcément parvenir à...

le 2 avr. 2018

20 j'aime