Delphine Seyrig, femme ô combien intelligente que j'admire, décide de prendre sa caméra et d’aller interroger 24 actrices/comédiennes françaises et américaines sur le simple fait d’être femme dans l’industrie du cinéma. C’est en leur posant différentes questions qu’elles en viennent toutes au même constat : Jane Fonda l’exprime très bien « Il fallait bien que je m'arrange pour devenir un produit du marché, me rendre commerciale ». C’est surtout sur cet aspect du documentaire que j’aimerais rebondir. Mon discours vous semblera peut-être généraliste et extrême mais rassurez-vous, mes propos sont très mesurés !


C’est un malheureux constat que de réaliser que rien n’a changé depuis 1975, que tout s’est empiré si je puis dire.
Certes, la condition de la Femme a beaucoup évolué depuis les années 60, mais la ménagère alors déjà objet sexuel, a-t-elle véritablement changé ? Nous sommes depuis bien longtemps entrés dans l’ère de l’Image. Les images nous assomment et les médias se plaisent à nous engraisser. Les images nous bousillent le cerveau autant que celui des enfants et des adolescents.
Lorsque je l’allume mon poste de télévision, j’aimerais ne plus tomber sur ces clips musicaux qui mettent en scène des filles presque nues, qui pavanent leur fessier devant une caméra en contre-plongée et qu’un soi-disant chanteur s’amuse à reluquer, caresser, voire fesser. Lorsque, récemment, je me balade dans le métro, je tombe nez-à-nez avec une affiche d’une femme nue cachant ses parties intimes avec un chat. Ou encore je vois des entrejambes en gros plan vantant une application permettant l’épilation sans rendez-vous.

Pouvons-nous également parler de la pornographie accessible en deux clics. Même votre grand-mère inculte d’internet peut trouver un site pornographique plus vite qu’une recette de tarte aux pommes. La pornographie, c’est une affaire personnelle, on est d’accord, pas d’accord, on regarde, on ne regarde pas. Le problème n’est pas là. Le problème est dans le traitement des fantasmes liés aux femmes. Les vidéos pornos sont faites par des hommes pour des hommes - d’âge mûr – normalement. La femme représentée n’est que le reflet des fantasmes des hommes. Le corps des femmes est donc bien souvent idéalisé. Les vergetures sur les cuisses, les fesses et les seins, la cellulite mais ça n’existe pas, voyons ! Tous les sexes sont magnifiques (et sans poils, c’est mieux d’ailleurs). Et puis toutes les femmes adorent se faire humilier, se faire frapper c’est bien connu. Mais où est le problème ? Les jeunes qui tombent sur ces images ? Non ce n’est pas bien grave, l’éducation sexuelle ils ne l’acquièrent pas via les pornos. Et bien si, le problème prend racine ici aussi.
Heureusement, aujourd’hui la parole sur le plaisir féminin se libère. On ose parler de notre clitoris, de notre vagin, de la masturbation, et encore, c'est une minorité. Pourtant, avec cette pornographie, c’est le plaisir masculin qui est mis en avant ; ce qui est ensuite reproduit dans l’acte sexuel réel. Lorsque je surprends des conversations de jeunes hommes racontant leurs ébats sexuels, mes oreilles saignent. Ce qui leur importe, c’est leur performance. Mais la femme dans tout cela ? Son plaisir ? On ne sait pas, on ne nous a pas montré ça dans les pornos…
Je précise encore une fois que je ne généralise pas, mais je lis tellement de témoignages qui me prouvent que le problème est toujours d'actualité.


Avec le développement des réseaux-sociaux et d’un narcissisme lié à Facebook, Instagram, Snapchat et j’en passe, les jeunes baignent dans une idée du monde absolument fausse, mais qu’y peuvent-ils ? On les engraisse d’images fausses. Allez jeter un coup d’œil aux comptes Instagram des gamines de 12 ans. Elles se mettent en scène comme des poupées Barbie cherchant les likes par centaines. L’image, l’image encore l’image, une arme de guerre, elle peut détruire, faire très mal. Et nous arrivons là sur un autre point. Cette jeunesse qui se prend en pleine figure toutes ces images ; clips musicaux avec des femmes hyper sexualisées, des publicités qui ne choquent plus personne, des images pornographiques où la femme est réduite à un vagin. Elle ne sait plus faire la différence entre le fictif et le réel, et là commencent les problèmes liés au physique. "Je suis grosse, je dois m’épiler j’ai trois poils sous les bras, mes fesses sont plates, j’ai des vergetures sur les seins, j’ai du ventre, mon sexe n’est pas beau, j’ai une lèvre beaucoup plus grande que l’autre". Toutes ces images créent des complexes énormes, démesurés chez les jeunes filles, qui n’ont pas lieu d’être. Mais la société préfère continuer de diffuser ces images, c’est pas grave, ça fait tourner l’économie. Les clips continuent d’être regardés, et on va toujours plus loin, puisque la jeunesse n’est plus choquée de rien.


Mais revenons maintenant à la phrase de Jane Fonda « Il fallait bien que je m'arrange pour devenir un produit du marché, me rendre commerciale », pensons aux discours de ces actrices. Alors, depuis 1975, les choses se sont-elles améliorées ? N’est-ce pas pire ? De nos jours, ce n'est plus seulement aux actrices ou aux mannequins à qui l'on demande d'être un produit du marché, c'est à toutes les filles, à toutes les femmes. Se construire sur les images que notre société nous envoie à longueur de journée, qui semblent pourtant si anodines. Alors non, depuis 1975, ça n'a pas changé.


(2020 update : depuis cette critique, si, des choses ont changé. On progresse dans certains domaines comme la liberté sexuelle féminine et on régresse ailleurs malheureusement, dans d'autres pays. Je ne suis pas militante, je rêve, bêtement peut-être, d'un monde meilleur dans lequel les femmes seraient les égales de l'homme. Alors n'oublions pas ces films, ces initiatives artistiques qui résonnent encore aujourd'hui).

Lulisheva
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le 28 oct. 2018

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Lulisheva

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