...dans une ténébreuse et profonde unité...

Une salle de spectacle, pleine d'enfants dans l'ombre, qui regardent semble-t-il un spectacle de Guignol, surexcités et amusés. Un bruit blanc, sourd, étouffant se met à sourdre, l'image s'assombrit encore un peu, et s'accélère. Les visages des enfants hurlant "derrière toi" deviennent bestiaux, expriment la sauvagerie primale, la peur, et la scène bascule de l'innocence à l'effrayant.
Si le spectateur est en angoisse à ce moment, alors il est parti pour un voyage extrême et se trouve là où il devait être : devant l'un des meilleurs films français "lynchiens" (ou gasparnoéiens, au choix, les deux ambiances se croisant au sein de l'étrange road movie tout en dérive et en fuite en avant que propose Grandrieux).
S'il trouve simplement la photographie pas mal mais n'éprouve pas l'angoisse inhérente de la scène, c'est perdu d'avance, il s'ennuiera probablement et ne verra en Sombre qu'un enchainement de belles images prétentieuse et maniérées.
Ca passe ou ça casse.

D'ailleurs, c'est un de ces films à voir impérativement dans des conditions excellentes, au cinéma de préférence, dans une salle obscure, pour faire corps avec la noirceur du film.
Les images sont magnifiques, et cette histoire d'amour et de mort, de non-dit, de silence, pourrait être la part d'ombre - toutes proportions gardées - de l'incontournable Double Messieurs de Stevenin.
L'analogie est cavalière, mais pourtant dans les deux cas on se trouve face à un presque enlèvement par le silence, l'absence de communication verbale possible - le non-dit à proprement parler -. Dans les deux cas, un sorte de relation oscillant entre le désir, l'amour, le mépris, la violence, la soumission et le syndrôme de Stockholm se met en place.
Avec un autre vocabulaire, une histoire analogue est racontée.

Certaines images, souvent les plus simples, resteront gravées longtemps dans ma mémoire, et malgré le coté maniéré de l'imagerie et du maniement de caméra, Sombre est un film que j'aime, que j'ai aimé revoir, qui me touche.
Mais c'est un film fragile, qu'une simple pichenette de lumière peut briser. Il faut s'y baigner si l'on veut en voir la vraie couleur. Rester à la périphérie ne suffira pas, c'est au spectateur d'aller vers lui, de prendre cette décision. A plus forte raison si le visionnage se fait à la maison.
Téléphone coupé, seul ou avec un ami muet, toutes lumières éteintes, le son poussé assez fort.

Créée

le 15 nov. 2014

Critique lue 991 fois

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toma Uberwenig

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