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Ce n’est pas un film sur le passé : c’est une insurrection sonore.

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Le monde bruissait déjà avant que le film ne commence — et Soundtrack to a Coup d’État l’entend, l’attaque, le disloque. La critique ne s’inscrit pas ici dans la ligne droite : elle glisse, saigne, se dis-tend, comme un saxophone froid haletant. Je ne veux pas dire que Grimonprez “réinvente le documentaire”, mais qu’il le hante — qu’il l’arme.


On entre par l’archive — une photo, un plan fixe, une voix off — et tout de suite on sent que le passé n’est pas clos. Le documentaire est un moteur spectral qui irradie le présent. La dénonciation n’est pas une banderole mais une fissure sonore. On entend la caresse du vinyle, le grésil du magnétophone, les dissonances latentes des disques de jazz comme autant de mots clandestins.


Abbey Lincoln et Max Roach envahissent le Conseil de sécurité, mais ce n’est pas une scène, c’est un symptôme : l’intrusion du politique dans le temple aseptisé de la diplomatie. Comme si le jazz était une résistance incarnée, un hurlement permis là où l’ONU croit parler. Le film ne “montre” pas : il vacille, il entrechoque. On ne “voit” pas Khrushchev taper du pied ; on le sent tressaillir dans la texture du montage, dans le silence entre deux notes. Le geste de la chaussure ne s’explique pas : il fissure la façade.


Louis Armstrong, envoyé “ambassadeur du jazz”, n’est jamais un pion naïf : il est un instrument usé, contraint, mais vivant. Le documentaire installe ce paradoxe sans slogans. Si la musique transporte, elle ne sauve rien. Elle devient l’arme camouflée de la machine diplomatique — et le film la réapproprie : elle redevient frappement, pulsation, menace. On doute du geste, on doute du témoin, on doute du montage — mais ce doute est le cœur battant du propos.


Les lectures de Congo Inc., les extraits d’Andrée Blouin sont autant de contrepoints, de contrechants : une mémoire littéraire agressive qui réplique aux images. Le montage n’est pas linéaire, il n’obéit pas à une chronologie morale. On glisse, on bascule, on revient. Le film est occupation temporelle : on habite l’archive comme on habite la rupture.


Ce n’est pas un film sur le passé : c’est une insurrection sonore. Le documentaire refuse la retenue de la voix off dominatrice. Ici le bruit est personnage, la musique raconte, le silence est accusation. On ne conclut pas, on vacille — le spectateur ne reçoit pas une vérité, il s’y débat. La critique ne juge pas : elle remue, elle entaille, elle interroge.


Je donne à ce film 14/20 — non parce qu’il est parfait, mais parce qu’il est nécessaire.


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Le-General
7
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le 3 oct. 2025

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