Je possède une certaine fascination pour M. Night Shyamalan. Cela tient à son style de réalisation et la trajectoire si particulière de sa carrière. Il était d’abord l’homme à twist avec Sixième Sens, Incassable et Signes et il endossa la responsabilité d’élever ce que sont les films de genre. Tâche bien impossible parce que les films de genre n’ont toute façon pas besoin d’être reconsidérés ou pris au sérieux, ils font ça déjà très bien tout seul.


Viens Le Village qui signe le début d’une phase mêlée de projets persos incompris ou nuls c’est selon avec La jeune fille de l’eau ; et de blockbusters ratés avec Le dernier maître de l’air et After Earth. Bien heureusement, nous sommes maintenant dans la troisième phase : des films espiègles profondément ancrés dans le genre et à forte valeur ajoutée. Ça a commencé avec The Happening et s’est prolongé il y a deux ans avec The Visit.


Et Split vient donc de retourner toutes mes attentes et on est pour moi dans un Shyamalan grand cru.


Vous avez dû voir le marketing, Kevin possède 23 personnalités car il souffre de trouble dissociatif de la personnalité. Il y en a une 24ème qui commence à émerger et prendre le dessus sur les autres. Mais notre point de départ survient quand Kevin enlève trois jeunes filles qu’il va retenir prisonnières.


On entre directement dans ce qui est problématique, Split appartient à un genre qui marche sur un fil, à savoir une exploitation d’un phénomène de psychologie incompris, de manière un peu malsaine. Si vous cherchez une représentation de qualité de ce trouble allez ailleurs. On est face à un script qui grossit les traits afin d’exploiter scénaristiquement la prémisse « comment différentes personnalités peuvent interagir entre elles ?». On peut facilement glisser dans le trope très préjudiciable, véhiculant des idées fausses dans l’inconscient collectif.


Heureusement Shyamalan évite cet écueil et ça ne peut pas être par accident. Vu le développement de l’histoire et la prémisse on pouvait facilement glisser dans une délusion de Kevin quant à cette 24ème identité, en faire un tueur de plus et aboutir à une diabolisation du trouble dissociatif de la personnalité. Mais le réalisateur glisse dans un délire sci-fi totalement jouissif et limite transcendantale. Et ça ne tient pas qu’à ça. Tout le film est construit sur une certaine romantisation de la maladie mentale qui fonctionne par deux autres points. Le Dr Fletcher jouée par Betty Buckley qui tient profondément à Kevin et à ses patients en général. Elle apporte une chaleur bienvenue au film car essaye de faire comprendre ses patients à la communauté scientifique i.e. le public du film qui statuera sur ce point. Mais ça tient aux personnalités elles-mêmes de Kevin qui ont des actions répréhensibles à bien des égards mais ce sont construites dans le but précis de protéger leur « hôte » si je puis dire. C’est un très fort propos sur le trauma et ses conséquences, Kevin blesse des gens autour de lui mais cette construction résulte avant tout d’un désir de se protéger lui-même après ce qu’il a vécu. Et c’est cette approche qui rend la maladie de Kevin touchante et pas offensante. Après je ne peux pas être seul juge, bien-sûr et je laisse aux personnes concernées plus directement le droit de juger cette représentation.


Ce qui rend le film attachant, c’est aussi sa performance centrale. James McAvoy fait un travail monstrueux. Et je ne peux qu’imaginer la difficulté de balancer ces différentes personnalités sur le plateau. Si j’ai bien compté, on en voit 9 à l’écran. Toutes avec leurs propres tics et expressions. Alors certes c’est complètement over-the-top mais au fur et à mesure, il est clair que McAvoy tourne la chose totalement à son avantage et livre une vraie bonne performance. Il est secondé par Anya Taylor-Joy méconnaissable par rapport à son rôle dans The Witch l’année dernière jouant Casey, une fille émotionnellement détachée. Elle contraste avec McAvoy et ça apporte un poids à la confrontation finale vraiment exaltante.


Si ces dernières années ont pu souligner les faiblesses d’écriture que pouvait avoir Shyamalan, il n’en est rien ici. C’est justement son écriture si particulière qui donne tout ce ton étrange au film et cette aura si particulière. En termes de réalisation, on retrouve ses tics : les face-camera ultra rapprochés, les dolly zooms. C’est fou de voir que ces choix de caméra pour lequel je l’aurais moqué sur ses derniers films car ça frisait l’auto-parodie marchent ici du tonnerre de Dieu. Je pense vraiment qu’il a besoin d’être limité par le budget et l’espace. Quand il doit rivaliser d’ingéniosité pour dépasser ces limitations, il tient ses promesses et offre du spectacle. Split est une vraie œuvre en termes de mise en scène de divertissement et d’horreur. Peut-être que l’erreur de ces dernières années aura été de le voir comme un nouveau Spielberg alors qu’on est peut-être face à un nouveau Carpenter toutes proportions gardées.


Dans l’état actuelle de cette critique, j’ai laissé les choses relativement sans spoiler. Mais je me dois de discuter la fin tellement Shyamalan vient de nous sortir sa révélation la plus incroyable et je pèse mes mots. Donc mon conseil actuel est d’aller voir le film, comme vous avez pu voir, je suis particulièrement enthousiaste, et revenez si mon avis vous intéresse sur cette fin si particulière.


Je n’étais pas préparé à ces deux dernières minutes. C’est comme ça qu’il s’est fait connaître et Shyamalan vient de construire la fin la plus Shayamalanesque de tous les temps.


Mais revenons sur ce qui s’est passé pas à pas : l’histoire de Kevin arrive à son terme, la Bête qui est sa 24ème personnalité a émergé, le dotant d’une force surnaturelle et l’avenir est donc ouvert à de nouvelles possibilités, une suite n’est pas à exclure par exemple. Puis cette musique commence à se jouer : https://www.youtube.com/watch?v=69K61Ex4TX4. Mon esprit et confus. On ouvre la scène dans un diner américain et l’histoire de Kevin fait les gros titres. Une femme mentionne « ce mec en fauteuil roulant il y a quelques années », je commence à devenir fou. Puis Bruce Willis apparaît à l’écran vêtu d’un imperméable avec l’inscription « Dunn » au dos. J’ai failli tout casser dans la salle.


Shyamalan a des balls en titanium pour oser faire ça. Surtout que 20 personnes dans toute la salle ont dû capter la référence. Split est donc une suite cachée d’Incassable.


Jusqu’à ces deux dernières minutes on était face à un thriller bien ficelé à penchant surnaturel. Mais celles-ci nous offrent une recontextualisation complète de l’histoire : c’est en fait une origin-story d’un super-vilain faisant écho à l’origin-story du héros David Dunn dans Incassable. On vient de passer un film entier à introduire un méchant sans qu’un héros vienne intervenir. Les meilleurs méchants sont ceux que l’on veut voir triompher secrètement, et en passant un film entier à nous l’introduire, Shyamalan va rendre l’affrontement inévitable entre Dunn et Kevin beaucoup plus puissant. Il vient de construire un univers de super-héros bien plus consistant que celui de DC à lui tout seul en 2 minutes de fin de film. C’est plus qu’une renaissance pour le réalisateur, c’est un triomphe narratif et une injection de hype à 1000% pour moi qui me voit attendre Incassable 2 ou Split 2 c’est selon, avec le plus fervente impatience qui soit.

Arnaud_Mat
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le 24 févr. 2017

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