-Pourquoi tu as l'air plus grand ? -Parce que je me tiens droit

Après avoir adoré son plus récent film Alterlove sorti en avril dernier, j'étais curieux d'en apprendre plus sur le cinéma de Jonathan Taieb. Me voilà donc sorti de mon visionnage de Stand.


Anton et Vlad sont en couple dans une Russie dans laquelle crimes homophobes sont banalisés, encouragés. Après avoir assisté depuis leur voiture au lynchage d'un homme sans intervenir, ils découvrent que la victime a été agressée et même tuée en raison de son homosexualité. Anton décide d'enquêter sur les agresseurs...


Le film baigne dans le froid glacial russe. La musique, très peu présente et seulement diégétique (sauf dans un certaine scène dans je parlerai plus tard), appuie cette sensation de froideur. Dans Stand, le monde dans lequel évoluent Anton et Vlad est hostile et chaque scène, en particulier celles tournées en extérieur est là pour nous le rappeler. La caméra se focalise souvent sur leurs visages. On y lit beaucoup de choses, de l'amour entre eux bien sûr mais aussi de la peur, beaucoup de peur. C'était déjà une des caractéristiques d'Alterlove : la caméra de Jonathan Taieb cherche à capter le geste et l'émotion dans tout ce qu'ils ont à nous montrer des personnages. Mais ici, plus encore que dans ce dernier, le regard l'emporte sur tout le reste, en particulier le regard d'Anton. Dès la scène d'ouverture dans la voiture, on sait que le film sera une plongée dans la pensée et l'émotion de ce personnage.


C'est annoncé en début de film, les victimes des lynchages se font asperger de peinture bleue, comme une marque de honte qu'on leur ferait porter, les mettre en dehors du reste du monde. Dès lors, la couleur bleue sera au centre de nombre de scènes du film. Et je pense que c'est là un des points forts du film. Suggérer au spectateur à tout moment, grâce à ce bleu, omniprésent que le danger rode, partout, vicieux. Nos personnages sont surveillés. Barrière de maison bleue, devanture de bar bleue, serviette bleue, porte d'entrée bleue, carrelages du métro bleus... On n'y échappe pas.

Mais surtout, il y a cette scène sublime dans laquelle Anton visionne sur internet les vidéos de lynchages filmées par les agresseurs. Encore là, la caméra de Jonathan Taieb est littéralement collée au visage d'Anton et au détour d'un plan sublime, l'écran de l'ordinateur d'Anton se reflète dans son regard, l'entourant d'une maudite lumière bleue. Même dans l'apparente sécurité de leur logis, ce bleu se faufile, s'impose à lui et à nous les spectateurs.


Mais cette atmosphère glaciale est parfois contrebalancée par les couleurs plus chaudes de certaines scènes, en particulier dans les moments où Anton se retrouve aidé par des personnes de confiance. Il y a d'abord le domicile de cette personne âgée chez qui Anton travaille comme aide à domicile. Le personnage de Katya, étudiante en journalisme qui se propose de l'aider dans son enquête porte un pull rouge. On associe alors au rouge une sorte de réconfort. Du moins jusqu'à un certain moment...


On suit alors Anton dans son enquête pour retrouver les agresseurs. Pourquoi ? Pour comprendre, mettre les mots, agir mais surtout et c'est le thème du film pour lutter, rester debout face à cette injustice. On remarquera d'ailleurs qu'Anton donne le nom "Opération Lumière" à son enquête. Le froid glacial russe et le bleu luttent contre le rouge, la lumière, le feu de ceux qui ne se soumettent pas face à l'injustice.

Tout cela n'est que suggéré et là dessus je retrouve bien le Jonathan Taieb d'Alterlove qui, au moyen de procédés cinématographiques, utilisation des couleurs, du cadre, donne des clés de lecture à son spectateur sans jamais lui imposer de façon appuyée ou littérale. En cela, son cinéma se révèle sensoriel plus qu'intellectuel.


Attention, la suite de cette critique révèle des éléments importants de la fin de l'intrigue !


Mais s'il y a bien une scène dans ce film qui m'a totalement conquis c'est la scène finale. Andreï, personnage en qui on pense avoir confiance car après tout, il porte une écharpe rouge, rouge comme le pull de Katya, trahit Anton en le menant dans une embuscade.

Anton court et la caméra le suit. Nous aussi spectateurs sommes trahis et nous sommes là, à côté d'Anton à chercher à fuir cet enfer. Cette façon de filmer caméra à l'épaule, s'autorisant des saccades et renforçant l'urgence et le trouble qui s'empare de notre esprit n'est pas sans rappeler la scène plus tôt dans le film dans laquelle Vlad se lance à la recherche d'Anton.


Mais on sait que la fuite est vaine... S'en suit alors une glaciale scène de violence physique et verbale, d'humiliation aussi. Irrespirable...


Mais que dire de ce plan final ? Que dire ? Anton, allongé sur le sol, en sang, aspergé de peinture bleue, reprend petit à petit connaissance. Le plan est fixe, la caméra semble posée sur le sol comme si nous agonisions à côté de notre personnage principal. Il se relève tant bien que mal, titube, marche et avance. Sa silhouette traverse un rayon de soleil venu de la droite (la fameuse Opération Lumière). La musique, pour la seule fois extra-diégétique, est extraite de l'opéra Tannhauser de Wagner. Il s'agit du leitmotiv de la procession des pèlerins.

Et là, on touche à l'ineffable, au sacré... On assiste à une résurrection d'Anton.

Sur le sol traînent encore quelques gouttes de peinture bleue. Il s'en détourne, s'éloigne au loin. Pourtant, jamais le réalisateur n'en fait une sorte d'icône super-héroïque. Cette scène malgré sa force transpire encore la simplicité, l'humilité.

Nous retenons notre respiration... Et alors la musique s'arrête ! Anton semble trébucher, encore une fois. On s'inquiète, on a le coeur qui se contracte et on a envie de lui crier "Ne tombe pas !". Il ne tombera pas... Il avancera encore dans le silence, il restera debout et partira au loin.

Comment dire que nous tenons ici un grand moment de cinéma ! Ce plan me hantera toute ma vie. Il y a là quelque chose d'aussi puissant que le plan final du Melancholia de Lars Von Trier.


C'est pour ce genre de scènes que j'aime le cinéma et Jonathan Taieb me révèle une fois de plus avec ce Stand qu'il est un réalisateur de talent, un homme qui fait parler l'image au delà de ce qu'elle semble montrer au premier regard.









Montsalvat
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Créée

le 7 juil. 2025

Modifiée

le 7 juil. 2025

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