À partir du scandale d’Abou Ghraib révélé en 2003, Errol Morris donne naissance à un douloureux témoignage de mort. Grand film sur la parole, celle de soldats, d’hommes et de femmes ayant commis les atrocités ou s’étant rendus complices de leur réalisation, Standard Operation Procedure s’interroge sur les motivations qui ont pu conduire à de tels comportements, met ainsi le doigt sur une zone d’ombre relative à ce fond de barbarie détenue à la fois dans la nature humaine, mais surtout dans la machine administrative qui confère à la violence une légitimité, un sens, un ordre. Comment une idéologie peut à ce point aveugler ses défenseurs ? comment un État peut à ce point rechercher le contrôle sur le monde, quitte à nier l’humanité de ses adversaires et, ce faisant, l’humanité de ses concitoyens ? Le support photographique permet au réalisateur d’étendre la portée symbolique des exactions depuis l’acte de guerre vers l’art ; car ces soldats agissent en qualité d’artistes, construisent des pyramides d’ennemis dénudés, composent des sculptures vivantes à l’aide de fils électriques et de morceaux de vêtements. Tout cela sous la bénédiction d’un gouvernement.


S.O.P. traduit à l’écran l’obsession photographique du mal, une obsession qui réverbère non pas tant une cruauté qu’un profond sentiment de puissance. « N’hésitez pas à traiter les prisonniers comme des chiens, ils doivent savoir que vous avez le contrôle ». Une femme promène en laisse un détenu privé de vêtements. L’artiste est maître de son sujet ; mais ici, l’art communie avec le mal puisqu’il s’obstine à extraire son essence de la souffrance et de l’humiliation. La partition de Danny Elfman augmente encore cette impression de cheminement artistique : elle refuse de dramatiser les témoignages mais apporte une poésie qui aussitôt dissone, souffle un malaise ambiant entre l’horreur dépeinte à l’image et rapportée par les voix, et l’innocence presque enfantine des thèmes musicaux.


Standard Operation Procedure assomme le spectateur par une immersion de près de deux heures dans la cruauté élevée au rang d’art, preuve irréfutable d’un fanatisme politique tout autant que questionnement profond sur la naissance d’une image, sa valeur et son impact.

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le 15 sept. 2019

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