"Stefan Zweig. Adieu l'Europe" : le titre français, par le mouvement de sécession qu'il énonce, indique d'emblée le projet de se centrer sur les dernières années de l'écrivain autrichien ; années de sécession géographique, marquées par l'adieu à l'Europe et l'exil au Brésil, de Rio au lieu ultime, Petrópolis, et années de sécession radicale, puisqu'elles virent l'exilé, tout à son affliction devant l'anéantissement du "monde de [s]on langage" et de sa "patrie spirituelle, l'Europe", s'abandonner lui-même à un désespoir de plus en plus absolu.


En quelques tableaux, tranchant dans ces années extrêmes et prélevant des moments, organisés chronologiquement entre 1936 et 1942, l'actrice et réalisatrice allemande Maria Schrader nous donne à voir, avec une sensibilité et une intelligence immenses, l'exil intérieur de plus en plus marqué qui a fini par entraîner dans son gouffre le grand écrivain.


D'emblée se trouve affrontée la question de l'engagement, ou plutôt du refus à toute condamnation, Zweig ne consentant pas à jeter l'opprobre sur le pays qu'il a fui et dénonçant comme "fanfaron" tout positionnement consistant à brandir son courage, mais de loin. Cette prise de position idéologique, qui n'a pas toujours été comprise, s'étant vue traitée de manière aussi approfondie que peut le permettre un film, Maria Schrader peut s'engager ensuite dans l'approche humaine du personnage principal, le montrant en compagnie de sa jeune femme, Lotte, lors d'une visite de plantation de canne à sucre, dans les profondeurs du Brésil, en janvier 1941, puis, le même mois, passant de l'extrême chaleur au froid le plus intense en rejoignant New-York et son ex-femme, campée avec beaucoup de naturel par Barbara Sukowa. Surviendront ensuite différents amis, retrouvés par hasard à Petrópolis ou bien célébrant son ultime anniversaire par le don d'un chien, auquel l'écrivain témoigne davantage d'affection qu'à tout autre de ses frères humains...


Si l'excellence du travail de la réalisatrice et de son équipe technique est à souligner, s'illustrant notamment dans le rendu des atmosphères, la restitution des jungles humaines, végétales, des différents climats, il est impossible de ne pas rendre hommage à l'interprétation bouleversante de Josef Hader, l'acteur autrichien, lui-même également auteur, qui redonne vie au personnage éponyme et adoucit par sa grande humanité les traits parfois trop durs ou désabusés qui peuvent être ceux de Stefan Zweig sur certaines photos. On avait déjà eu le loisir de l'apprécier en père totalement dépassé mais adorablement dévoué, dans le premier film injustement méconnu d'Ann-Kristin Reyels, "Des chiens dans la neige" (2007), ou en enquêteur lunaire provoquant le rire par sa seule présence à l'écran, dans "Silentium" (2004), de Wolfgang Murnberger. Ici, toute la part de doute qui habite son regard, en même temps que l'attention, la gentillesse, la modestie qui courbent ses gestes portent à son comble l'émotion provoquée par son jeu, par sa réincarnation, devrait-on dire. Josef Hader offre ainsi au grand auteur le plus beau cadeau qui se puisse concevoir : non seulement mettre ses pas dans ceux qui ont conduit Zweig vers la mort, mais porter au grand jour tout ce qui, en lui, aurait pu vivre, aurait mérité de vivre.

AnneSchneider
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le 4 sept. 2016

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Anne Schneider

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