C’est en 2007 que Zack Snyder écrit une histoire sur une jeune fille qui est abusivement internée dans un asile d’aliénés. Pour fuir son destin et la lobotomie qui la menace, elle se réfugie dans une réalité alternative où sa prison n’est plus un asile, mais une maison de plaisirs. Au sein de cette illusion, elle entraîne quelques camarades d’infortune dans une nouvelle échappée fantasmatique où elles ne sont plus des prostituées de luxe, mais de voluptueuses et farouches guerrières tronçonnant dragons, samouraïs et autres zombies nazis.
Zack Snyder décide de mettre le projet de côté pour se concentrer sur Watchmen, une commande du studio Warner Bros. Satisfait du film de super-héros, la Warner annonce qu'il sera le distributeur du prochain projet de Zack Snyder, qui sera un de ses propres scénarios. Le cinéaste ressort donc son scénario de la jeune fille et de l’asile, va chercher l’aide de son ami d’étude Steve Shibuya pour finir le script, et accepte sans hésité l’offre de la Warner, ayant eu le champ libre lors de la production de Watchmen.
Sucker Punch sort en 2011, et c’est le premier film de Zack Snyder qui ne s'inspire pas d'une œuvre déjà existante. En effet, son Dawn of the Dead est un remake, 300 et Watchmen sont des adaptations de comics et Legend of the Guardians : The Owls of Ga'Hoole est l’adaptation d'un roman fantastique pour enfants. C’est la première fois que Zack Snyder peut prendre la direction qu'il souhaite, en toute liberté.
Zack Snyder vient prouver une nouvelle fois toute sa volonté de produire des tableaux au sein de ses long-métrages. Chaque plan y est pensé, réfléchi, soigné, du cadrage à la lumière, de la couleur à la texture (rappelons que Snyder vient d’une école d’arts plastiques à la base et qu’il a longtemps travaillé dans la publicité). Chaque séquence est au final un tableau admirable de perfection visuelle et plastique. Frénétique et fou, le film est épileptique, clippé comme une publicité, et survitaminé. Mais il est contrôlé, organisé dans une recherche de perfection formelle et plastique tendant au passage vers le fun afin de contenter le spectateur geek amateur du style et du genre.
Si la trame générale peut paraître simple, le scénario lui ne l’est pas. Au contraire, le film est d’une richesse narrative et thématique emblématique d’une catégorie de films qui demandent maintes et maintes visions pour en saisir toute l’essence. Le film possède en effet de nombreux niveaux de lectures et chaque question pouvant être soulevée, trouve sa réponse dans un détail, un indice caché au sein même du film. Beaucoup de choses seront affaires d’interprétation. Qui est la véritable héroïne du film ? Où est Baby Doll ? Dans quel état ou condition ? Où se situe t-on dans le récit par rapport à elle et où se situe t-elle par rapport au récit ? Zack Snyder brouille les pistes pour permettre au spectateur de réfléchir, de s’interroger mais ne manque pas de distiller des réponses au gré de scènes en apparences mystérieuses mais qui se complètent les unes les autres. C’est tout un jeu subtil entretenant de nombreux ponts entre la réalité et l’imaginaire qui s’ouvre. Là est toute la question des actes et de la condition d’une Baby Doll traumatisée par son passé, traumatisée par son présent et par ses perspectives de futurs. Une Baby Doll qui va devoir se créer un monde pour échapper à la terrifiante et révoltante réalité.
Zack Snyder et Steve Shibuya mettent en place un système de miroirs où les récits s’emboîtent et où de nombreuses scènes viennent remettre en cause ce qui semble évident, ce qui semble être pris pour acquis. La réalité et le fantasme d’une réalité s’entremêlent. Plusieurs versions et variations à l’histoire sont plausibles. Fantasme isolé ou commun ? Réalité dissociée ou linéaire ? Lobotomie avant ou après les évènements ? Les personnages sont-ils des entités propres ou des personnalités créés par un esprit perturbé se démultipliant ? Quel esprit ? Quelles personnalités ? Qui est qui ? Dans tous les cas, on ne peut décemment accuser un tel travail complexe de simpliste.
Et dans ce foisonnant puzzle scénaristique, Zack Snyder n’en oublie pas de nous livrer un divertissement au summum de la pop culture. Résolument déjanté et barré, le film nous entraîne dans des tableaux à différentes époques, dans différents univers où notre groupe de guerrières va combattre en tenues sexy et affriolantes, toutes sortes d’ennemis personnifiant quelque part leur quête d’évasion de cet hôpital sordide.
La petite Emily Browning emmène ce petit groupe de femmes nerveuses et féministes, composé d’une Vanessa Hudgens à contre emploie, d’une Abbie Cornish au rôle bien plus important qu’il n’y paraît, d’une Jamie Chung à se damner et d’une Jane Malone dans le rôle de la petite sœur pour Baby Doll et pour Sweet Pea.
Et puisque l’on est dans le casting, la sublime Carla Gugino, que l’on a déjà vu dans le Watchmen de Zack Snyder, prête à sa moue à une psychiatre de velours s’opposant au charme animal d’un Oscar Isaac des grands soirs en infirmier terrifiant et autoritaire.
La musique tient un rôle essentiel dans l’intrigue. C'est par son biais que Baby Doll plonge dans son monde imaginaire. Les compositeurs, Tyler Bates et Marius De Vries voulaient des musiques qui évoque l’évasion, l’espoir, et la rédemption à travers l'imagination. Ils ont choisis de réorchestrer des morceaux connus, tels que Sweet Dreams reprise par Emily Browning ou Love is the Drug par Carla Gugino et Oscar Isaac.
Sucker Punch n’est clairement pas à mettre entre toutes les mains. Le style de Zack Snyder est très particulier et force est d’admettre qu’il ne conviendra pas à tout le monde. La particularité visuelle de Sucker Punch s’adresse essentiellement à un public geek souvent fan du style du cinéaste. Il faut regarder Sucker Punch pour le plaisir des yeux et pour l’analyse d’une œuvre dont le fond posera bien des interrogations, bien des questions en suspens. Un fond que seules les multiples visions éclaireront.