J'ai vu pour la première fois Vertigo dans mon enfance, et j'ai (re)regardé Vertigo récemment. Je n'avais pas compris l'intrigue policière étant enfant, mais aujourd'hui je l'ai bien sûr comprise. Or ce film, même sans en comprendre le twist, m'avait profondément marqué: la musique qui décrit l'obsession, composée par Bernard Hermann, m'avait souvent suivi lorsque moi-même j'avais des pensées obsédantes, c'est dire à quel point la musique accompagne la folie du héros, James Stewart.
Car c'est bien un film sur la folie, au même titre que Psychose ou La maison du docteur Edwardes. Simplement il y a quelque chose de plus dans Vertigo, et c'est la romance: ici nous entrevoyons La mort aux trousses qui sera tourné un peu plus tard, un film d'un romantisme sûr, baigné lui aussi dans le fantasme qui est celui d'Hitchcock et devient celui du spectateur: la blonde fatale.


James Stewart au début de Vertigo est déjà plus ou moins en ménage avec une vieille amie dont il a été l'amant, Midge. Le manque de sensualité entre ces deux protagonistes est évident: leurs conversations sont banales, on peut parler d'amitié homme-femme, même si Midge veut clairement flirter avec Scottie, et que celui-ci reste de glace, se comportant tantôt comme un père (il est en retraite, ce qui suppose un âge avancé), tantôt comme un fils (Midge lui dit à un moment: "Maman est là", en parlant d'elle).
Bref le manque de sensualité entre ces deux-là renvoie aussi à la réalité: voici une relation réelle, non fantasmée, entre deux êtres qui se connaissent bien et n'ont plus beaucoup de secrets l'un envers l'autre.
Et justement suite à un accident, lié à sa peur du vertige, l'inspecteur va accepter, en off, une mission de filature: suivre la femme d'une connaissance, femme qui serait possédée par l'esprit d'une lointaine aïeule.
Les détails sur cette aïeule, Carlotta Valdes, aident à s'imprégner de l'atmosphère irréelle, ainsi que les jeux de lumière, la surexposition. La mise en scène très stylisée d'Hitchcock, qui joue beaucoup des couleurs, ne ressemble pas du tout à ses films plus anciens, comme l'Inconnu du Nord-Express, beaucoup plus classique.
Ici on est comme en plein rêve: la scène du cimetière, où Madeleine Elster, la femme suivie par le héros, se rend sur la tombe de Carlotta, a une telle surexposition que l'on dirait une scène dans l'au-delà, d'ailleurs l'église est plusieurs fois montrée, avec son clocher, comme une prémisse de la scène dans la mission espagnole.
Au début de la filature de Madeleine, le monde réel est toujours présent: James Stewart demande des informations dans son hôtel, par exemple. Mais très vite l'impossible surgit: Madeleine réussit à sortir de sa chambre sans passer par l'entrée de l'hôtel.
A partir de sa tentative de suicide, on peut enfin admirer Madeleine (Kim Novac), femme magnifique dont le halo de mystère ne peut qu'exciter Scottie. La question reste selon moi à poser: est-ce que Scottie est vraiment amoureux de Madeleine ? Au début il est clairement sous le charme de cette femme dont la sensualité dépasse grandement celle de sa petite amie du moment, Midge. Elle a aussi celà qu'elle est folle: grand fantasme masculin de la femme folle, hystérique dirons-nous, facilement manipulable mais échappant à la raison qui elle, reste masculine.
Ceci dit, Hitchcock décrit tout de même l'amour, avec ceci de génial qu'il montre aussi l'érotisme: les baisers sont fougueux, Scottie veut vraiment aider Madeleine comme Sean Connery veut aider Marnie dans Pas de printemps pour Marnie.
Ensuite Madeleine, comme poussée par le destin, se suicide sous les yeux de Scottie qui ne peut pas monter les marches du clocher d'où elle se jette. La métaphore sur l'impuissance sexuelle est très forte: il n'arrive pas à "grimper", et cet édifice phallique qu'est le clocher ajoute encore au symbole. Scottie est handicapé et faible, et la plaidoirie du procureur contre lui lors du procès est une insulte à sa virilité: il ne manquait pour consommer la relation que l'acte sexuel, impossible pour Scottie. Nous verrons qu'un peu plus tard il y arrivera.
Là où le film rend vraiment compte de la perte de l'être aimé, comme peu de films me l'ont fait ressentir, c'est après la mort, en fait simulée, de Madeleine. Scottie erre dans la ville, il sort de l'asile où il s'est reposé mais ne parvient pas à oublier cette femme. Et soudain il la voit, il la retrouve: le spectateur comprend que c'est bien elle, Scottie croit à un sosie. Et il y a quelque chose d'admirable dans cette partie du film, c'est Scottie qui veut absolument changer sa compagne alors qu'il a son rêve devant les yeux, que celui-ci est réalisé.ll faut ajouter que Judy est cent fois plus sensuelle encore dans sa naïveté et sa sincérité, que ne l'était Madeleine. Le spectateur voit cela, mais pas Scottie. Scottie va donc, dans la dernière partie du film, tuer l'être aimé plutôt que s'adapter à lui. Derrière un côté onirique très fort, il faut ici faire un parallèle avec Midge au début du film: Scottie l'ignore car elle ne correspond pas à son idéal féminin, il est incapable de voir qu'elle l'aime, et il fera de même avec Judy/Madeleine. C'est le même problème qui est analysé, que ce soit au début ou en fin de film: l'incapacité de Scottie à voir le réel (et ses défauts: Midge n'est pas un sex symbol, Madeleine n'existe pas, Judy n'est pas Madeleine) et à l'aimer. Judy veut en effet, et c'est adorable, qu'on l'aime pour elle-même. Et cette chance inouïe qu'a Scottie de retrouver son amour, il va la casser: d'abord en modelant stupidement Judy afin qu'elle ressemble à Madeleine, ensuite en jouant les détectives pour finalement tuer son amour. A savoir que Scottie perd deux fois l'être aimé dans ce film, et qu'on peine à imaginer autre chose que le suicide pour lui suite à cela.
En somme Scottie avait tout: de l'argent puisque c'est un rentier, une femme belle et intelligente. C'est parce qu'il fantasme qu'il perd tout.

Lanster
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le 29 mai 2019

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