Qui suis-je pour oser émettre des réserves sur ce chef d’œuvre patenté ? Vous avouerai-je que sir Alfred, souvent, m’ennuie ? Cette adaptation d’une sombre histoire des compères Pierre Boileau et Thomas Narcejac ne manque pas de charmes. Je vous l’accorde. Un riche homme d’affaires engage Scottie, un flic démissionnaire (James Stewart, toujours excellent), pour surveiller son épouse, la dépressive Madeleine (Kim Novak). La belle est envoutée par son aïeule, une malheureuse qui se suicida de désespoir. Prisonnier d’un vertige persistant, Scottie échoue à la sauver. Sir Alfred bouscule le plan initial. En dévoilant très tôt la machination, il saborde l’enquête policière, pour attirer notre attention sur la romance naissante entre Scottie et Judy. La question n’est plus de savoir s’il va élucider l’affaire, mais quand va-t-il comprendre et quelle sera sa réaction ?
Vertigo m’ennuie un peu. J’admire l’exercice de style, les fameux travellings contrariés et la perfection du montage, mais j’ai du mal à croire à l’improbable coup de foudre et je me désintéresse des états d’âme de l’inspecteur neurasthénique et de sa Fair lady assassine. Pis, je me refuse à croire qu’un industriel sensé n’ait rien trouvé de mieux que le recours à un flic intègre et acrophobe, une aïeule suicidaire, une fragile complice et un scénario abracadabrantesque exigeant sa présence sur les lieux du crime, le tout pour éliminer sa femme. Je veux croire qu’il y avait plus simple et moins risqué.
Plus qu’un thriller, sir Alfred nous sert une lourde variation sur la culpabilité freudienne. Le vertige de Scottie est la conséquence de l’accident dont il s’estime responsable. Il a fui la police, comme il lâcha jadis sa fiancée (Barbara Bel Geddes, la matriarche de la série Dallas, c’est elle, son sourire ne trompe pas). Judy aime Scottie, mais sait qu’elle le perdra à l’instant où il découvrira la supercherie. Scottie a inconsciemment saisi la vérité, mais se refuse à l’admettre. Il torture Judy en l’acculant à se travestir. Accablée, d’un acte manqué, elle se livre à son bourreau. Telle la statue du Commandeur, une religieuse tombée du ciel précipite la malheureuse vers les enfers.
PS Attiré par l’histoire et le jeu des acteurs, je négligeais la partition de Bernard Herrmann. Piero et Bernie ont su capter mon attention sur sa composition. Elle n’accompagne pas les images. Elle ne romantise, ni ne poétise en recyclant des airs connus. À l’inverse, elle appuie, signifie, alerte le spectateur. Elle ose stridences, sifflements et grincements. Magnifique.