Voir Miriam Regev, la tonitruante et très nationaliste ministre de la culture Israélienne, contrainte d'adouber Synonymes après son triomphe au festival de Berlin relève d'une belle ironie tragique. Attaché au parcours cabossé de Yoav, un soldat exilé à Paris et révulsé tout à la fois par son pays natal et sa langue maternelle, le dernier film de Nadav Lapid n'est pas tendre avec l'identité israélienne. Il n'est pas non plus aussi frondeur qu'on aurait pu le croire ou l'espérer : le spectateur, un peu désarçonné, ne saura rien des raisons de ce rejet viscéral des racines du protagoniste. Il doit se contenter d'un enchaînement de vignettes chic et choc, qui analysent avec pertinence la construction et déconstruction identitaire de cet anti-héros sculptural (excellent Tom Mercier), mais qui échouent à peindre autre chose qu'un itinéraire individuel un peu absurde et mélancolique, finalement assez commun dans le cinéma français.
S'il y a bien dans Synonymes quelques tentatives de paraboles politiques, elles restent toutes cadenassées par les gros sabots de Nadav Lapid, qui n'hésite pas à mettre en scène des cours de "civisme français" atterants ou à faire chanter de vieux hymnes de l'Eurovision à des pin-ups de l'armée israélienne. C'est finalement assez peu, et les ficelles de l'humour pince-sans-rire façon Toni Erdmann (Maren Ade est ici productrice) sont un peu trop voyantes pour être complètement honnêtes. Le metteur en scène est plus à l'aise avec ses vieilles marottes : le protagoniste de Synonymes hérite non seulement du prénom du petit poète prodige de L'institutrice, mais aussi de son talent littéraire. Conteur né, il cède puis reprend ses récits, tous déclamés dans un français châtié assez drôle, au rythme de ses fluctuations identitaires. Mais là encore Nadav Lapid abandonne rapidement cette bonne piste, finalement bien plus intéressante que les méandres kafkaïens de la naturalisation administrative.
Tout Synonymes est ainsi : une bonne idée est jetée en l'air, et y reste en attendant désespérément d'être rattrapée en vol. On peut trouver certaines qualités à ce flottement délibéré, mais la mise en scène peine elle aussi à l'incarner. Foisonnante d'idée, elle donne un temps l'impression de soutenir le film avant de finir par l'écraser de tout son poids. Le choix de maintenir Yoav, personnage fuyant par excellence, en permanence au centre de l'écran y est pour beaucoup : c'est peu dire que la dernière scène, par exemple, aurait gagné à être filmée de l'autre côté de la porte. De la carrure magistrale de Tom Mercier sans cesse exhibée à sa cannibalisation permanente de l'écran, il est finalement bien compliqué d'être touché par l'effacement de Yoav, qui n'existe jamais qu'en théorie.
Synonymes se prend en plus parfois les pieds dans le tapis, la faute à des développements trop balisés, en témoigne la romance sexuelle fanée dans laquelle Nadav Lapid force Yoav et la très fade Caroline (incarnée par une Louise Chevillotte néanmoins impeccable). Ironie du sort : la tension sexuelle inexistante de ce duo de personnages est annihilée par celle, à couper au couteau, de Tom Mercier et Quentin Dolmaire. Un accident de casting dont Nadav Lapid ne sait encore une fois que faire, préférant dérouler le programme finalement assez confortable de son film faussement fou. Rien qui n'enlève à Synonymes ces nombreuses qualités, parmi lesquelles une véritable honnêteté — mais rien qui ne justifie non plus de s'emballer à son sujet.