Tabou est le troisième long métrage du réalisateur portugais Miguel Gomes. À Lisbonne, trois femmes vivent sur le même pallier : une femme de ménage d’origine africaine, sa patronne Aurora qui est une vieille femme au caractère bien trempé et leur voisine Madame Pilar, un exemple de générosité. À la mort de Aurora, son ancien amant Gianluca Ventura, conte à Madame Pilar la jeunesse de cette femme dans l’Afrique coloniale des années 60. S’en suivent alors de nombreuses aventures, la rencontre d’un crocodile et une histoire d’amour passionnée. Le réalisateur nous livre ici un film structuré en deux parties autour de la vie d’Aurora en s’affranchissant librement des règles d’écriture cinématographiques. Ce long métrage est à la fois un voyage dans le temps et dans l’espace à travers les continents mais aussi et surtout un hommage au cinéma muet et au cinéma américain. Divisé en deux parties, « paradis » et « paradis perdu », la structure et le titre du film sont directement inspirés du film Tabu de Friedrich Wilhelm Murnau sorti en 1931.


Le réalisateur a tenté de recréer dans cette œuvre tout ce qui a disparu dans notre monde contemporain : l’esthétique du noir et blanc et le format 4/3, le cinéma muet, l’Afrique coloniale... Ainsi, il revisite en beauté le continent africain, notamment par l’utilisation de la pellicule et du noir et blanc. Miguel Gomes a souhaité mêler deux époques, deux endroits, deux histoires que rien ne semblait relier. Ce film est aussi et surtout une œuvre sur la mémoire et l’oubli. Les nombreux passages muets de la seconde partie, où l’on entend seulement les bruits de pas et d’animaux, semblent être un clin d’œil à cette mémoire qui flanche. Ces passages inaudibles permettent aussi d’éviter le pathos et laissent au spectateur la possibilité d’imaginer les dialogues entre les protagonistes. Dans cette œuvre, il est question de réalité, toujours en opposition à cette mémoire vacillante. Est-ce que le conteur de cette histoire retranscrit le réel ou est ce romancé ? Est-ce que ce monde disparu est pour autant oublié ?


Il prend soin de ne jamais juger, ni le personnage d’Aurora, ni les colons. Pourtant, cette vieille femme sénile et raciste qui vit dans une réalité mortelle et ennuyeuse, est le fruit d’une enfance bourgeoise au cœur d’une Afrique colonisée. Mais, c’est également une femme qui a connu un amour passionné et impossible, histoire dans laquelle chacun pourrait se reconnaître. Ce film est d’une poésie rare. Le format carré, la beauté du noir et blanc font apparaître cette histoire comme un songe, une rêverie. Promené entre réalité crue et enchantement onirique, le spectateur est tenu en haleine par cette histoire d’aventure, d’amour et le conteur arrive à nous captiver à chaque instant. Ainsi, la voix off, très lyrique, trouve parfaitement sa place. La dénonciation du colonialisme et de l’oisiveté de la bourgeoisie est ainsi présente sans tomber dans une critique facile et manichéenne. C’est un film romanesque sur la nostalgie d’un passé perdu et le déclin d’une société.
agnessalson
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le 24 juil. 2012

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