Ok. Accrochez vous. J'ai une théorie...

...Elle vaut ce qu'elle vaut, elle est peut être carrément capilotractée, voire absurde, mais elle expliquerait en tout cas pas mals de choses. Parce que là, du sens, j'en ai grandement besoin. Et je crois que je suis pas le seul, pas vrai ?


Bon, on récapitule. Chris Nolan et moi, c'est plus qu'une longue histoire. Pour aller droit au but, nous dirons que je l'admire depuis plus de dix ans. Effectivement, il y a dix ans de cela, je me suis assis dans une salle de cinéma (toujours la même depuis toutes ces années) en ayant pas grand chose à secouer du 7eme art, et j'en suis ressorti aspirant cinéaste convaincu. J'avais douze ans, je n'avais vu que très peu de films, et cette histoire d'espionnage industriel sur fond de rêve, ça m'avait littéralement renversé. Pour la premiere fois en regardant une oeuvre, je sentais que quelqu'un, de l'autre coté de l'écran, était en train de m'expliquer quelque chose. Pas les acteurs, pas les décors, pas la musique,...Quelqu'un d'autre, qui guidait tous ces élements vers la cohérence la plus totale. Pour la premiere fois, j'ai compris qu'une oeuvre n'aparaissait pas par magie, que quelqu'un avec des obsessions et un style, dirigeait toutes ces images, les rendait cohérentes entre elles. J'ai compris, immédiatement après avoir vu ce film, que je voulais faire "ça" - quoique ce "ça" puisse bien signifier. Pourquoi ? Bon ça, désolé, mais j'ai pas la réponse (pas encore, du moins...)
Dix ans sont passés. Entretemps, The Dark Knight Rises, Interstellar et Dunkirk sont sortis. Je les ais tous vus, comme chacun, et j'ai commencé au fur et à mesure à voir d'autres films, à essayer d'autre styles. Alors quand on se forge une cinéphilie, on commence doucement. On va puiser du coté de Fincher parce qu'il est abordable et surtout parce qu'il ressemble beaucoup à tonton Nolan lui aussi, puis on passe chez Tarantino, et là Tarantino - qui est trop fantastique - vous fait découvrir un tas d'autres mecs trop cools, puis on va pêcher du coté de chez Scorcese, etc, etc...Bref,la démarche classique de n'importe quel adolescent du XXIeme siecle. Je suis persuadé que ce genre de "trajet de vie" est commun à un bon nombre de jeunes hommes à travers le monde, et que sans doute Nolan aura été - pour eux aussi - ce phare dans la nuit de l'enfance, qui a emmené tant d'entre nous à comprendre la force des images. Parce que l'avantage de Nolan (c'est du moins comme ça que je l'ai toujours ressenti) est de mettre quoi qu'il arrive le spectateur en confiance. T'as pas compris les quinzes premieres minutes et pourtant t'as été attentif comme il faut ? Eh bah c'est pas grave mon p'tit vieux ou ma p'tite vieille ! Ne t'en fais pas, si tu restes sérieux, à un moment tu vas y arriver... Et puis à un moment, il y a cette cassure, qui vous fait vous sentir si impliqué dans ce que vous avez vu que vous avez presque l'impression d'être à l'origine même du retournement de situation. C'est hyper satisfaisant, et ça rend littéralement accro. Nolan, c'est en quelque sort le bon coté du cinéma à concept, et son dada à lui c'est le temps. Dans la majeure partie de ses films, cette notion y est questionnée. Que ce soit l'explosion d'une bombe, l'évacuation d'une plage, ou le repliement de l'espace temps sur lui même, a chaque fois, les horloges atomiques en prennent plein leur gueule chez notre ami Britannique. Si ce facteur peut paraitre aussi chiant à scénariser qu'un cours de physique quantique à suivre dans une amphi de fac bondé, il faut avouer que Nolan se débrouille toujours pour qu'à terme le spectateur - pourtant perdu, et assomé de concepts qui le dépassent au début du film - se sente à terme comme un démiurge omniscient, que le truchement de la caméra aura rendu capable de circuler entre différentes strates de temporalité différentes.
Du moins, Nolan se débrouillait toujours pour que ce soit le cas...Puis arriva Tenet,et là...

Que reproche t-on traditionellement à Nolan ? Parce qu'on lui reproche beaucoup BEAUCOUP de choses. J'ai découvert cette animosité à son sujet en sortant du college, lorsque j'ai commencé à croiser mon avis avec d'autres gens, et j'ai - par exemple - tout de suite été taxé de "fanboy". C'est un terme qu'on peut entendre dans la derniere vidéo de Durendal par exemple, lorsqu'il explique qu'il va devoir "évacuer les fanboy" de sa vidéo en larguant son avis dans les premieres minutes de sa critique (bonne et juste, au demeurant). Quand bien même je ne me suis jamais estimé totalement irrespectueux envers ceux qui le critiquait, je dois reconnaitre que je l'ai longtemps idéalisé. La preuve, Inception est toujours top 1 dans ma liste quand bien même aujourd'hui j'ai vu bien d'autres films qui le surpassent. Madeleine de Proust, que voulez vous...Bref, il m'aura fallu bien des cours d'analyse filmique pour que je puisse enfin prendre un recul suffisant, et je peux avouer aujourd'hui être en mesure d'établir de maniere cohérente une réflexion au sujet de ses oeuvres sans pour autant crier au génie à tout bout de champ. Bon, ça c'était la minute légitimité. On peut enchainer.
Du coup, je re-pose la question: que reproche t-on traditionellement à Chris Nolan ? Etant un réalisateur capable de débloquer 250 000 000 dollars pour tourner un film, il est évident que celui ci brasse autour de lui beaucoup de remoue médiatique, et que vu sa visibilité, beaucoup de gens ont un avis sur Christopher Nolan. Au fil des ans, celui ci s'est particulierement dégradé, suivant la courbe dans laquelle Quentin Tarantino commence à s'engouffrer, et dans laquelle d'autres types comme Ridley Scott ont plongés à pied joints. Cette communauté a émise une liste de patterns considérés comme insupportable et qui constelle, paraitrait il, l'intégralité du cinéma de Christopher Nolan.


Tout d'abord, son script.

C'est le point central, le noeud du probleme pour les détracteurs de Christopher Nolan. Alambiqués, complexes pour riens, ses films seraient de vrais gouffres abscons pour la plupart de ses spectateurs aussi concentrés soient ils lors du visionnage. Son obsession dans la déconstruction temporelle, qui peut a la fois miter le fond de son scénario comme son système de narration, serait la raison du coté prétentieux de ses longs métrages. A cela s'ajouterait une écriture de ses personnages peut poussés, paresseuses, faisant d'eux de simples fonctions comme dans la plupart des livres de sf, et une monomanie risible pour les grosses ficelles ("parce qu'en faaaait c'était lui depuis le débuuuuut...C'est pour ça qu'il disait qu'il avait fait un rêve un jour où il s'imaginait être lui"). Le fait que ces personnages partent parfois dans de vrais cours de science physique pour légitimer la cohérence du monde qui les entoure a parfois tendance à angoisser (rapellons nous les croquis et les exemples mimés d'Interstellar quand bien même les mecs sont des astronautes ou des pilotes surdiplomés). Le scénario, c'est véritablement le verrou principal des films de Christopher Nolan.


Ensuite, viennent tout un tas d'autres critiques. On lui reproche le peu de place accordé aux personnages féminins, ainsi qu'un manque absolu de diversité. Au delà de ça, son coté sobre et chic, avec ses personnages toujours bien fringués (véritables alter ego de sa propre conception de la classe, étant donné que Nolan lui même est en costard sur ses tournages), et sa mise en scène ascéptisée rendraient ses films indigestes. Son étalo elle même, habituée à des rendus gris, ainsi que son fétichisme pour la pélicule et les effets spéciaux réels finissent de planter le dernier clou du mauvais gout cinématographique. On lui reconnait des qualités de réalisation et de rythme, mais guere plus...


La question, à présent, n'est pas de savoir si toutes ces critiques sont légitimes ou non, mais de se retourner sur ce qu'on vient de voir. En l'occurence Tenet.

Et que constatons nous ? On se rend étrangement compte que toutes ces observations sont...justes.


Tenet, c'est l'incompréhension faite film.

Alors que je peux me targuer d'avoir compris tous les films de Christopher Nolan jusqu'à présent, celui ci m'a résisté à un point tel que j'ai du admettre mon échec alors que le film entrait dans sa derniere demie-heure, acceptant à ce dernier de me rouler allégrement dessus jusqu'au générique. Ce n'est pas tant que le concept qu'il est met en place est difficile à imprimer. C'est qu'il est mal emmené, mal dévellopé, et obombré en trop d'endroits pour être satisfaisant. Il y a des types qui vont dans un sens, et des types qui vont dans l'autre sens. Bon jusque là ok, mais soudain tout s'enchaine et alors le temps narrête plus de s'entortiller, encore et encore, collectionant les paradoxes comme des pin's. Des dialogues ahurissants de vide des personnages, au rythme déter qui court tout au long de ses longues minutes, rien n'est fait pour simplifier la chose. Les persos eux mêmes discutent entre eux qu'il ne faut pas chercher à comprendre comment fonctionne ce systeme de renversement temporel, ou l'identité de ces envahisseurs du futur. Il faut juste le "ressentir"...Mouais...

Sorte de James Bond sous stéroide quantique, Tenet vous attrape par les cheveux lors de la premiere scene dans l'opéra et vous largue à terme à l'arriere d'une caisse, en attente comme le personnage principal, à regarder droit devant soit sans savoir précisément ce qu'on vient de vivre. Seul plan de tout le film à avoir le point d'ailleurs, d'après le chef opérateur avec qui je suis partis voir le film (j'ai pas vraiment l'oeil pour ce genre de choses). Puis Travis Scott vient nous expliquer durant le générique que tout cela faisait parti d'un plan, alors j'imagine que ça va la famille...
Les personnages eux aussi semblent en pleine apnée au niveau de leurs caractérisations. Le vide, là encore. Un vice poussé à un tel extreme que le personnage principal n'a même pas de nom et est appelé "Le Protagoniste". Un personnage qui n'a ni passé, ni futur (littéralement) et qui se débat dans des costumes pas pratiques pour se foutre sur la gueule, ou dans des tenues d'airsofts peu esthétiques meme pour un film de Nolan. Un personnage qui largue de temps en temps quelques punchlines mal dosées, lorsqu'il n'est pas en train d'être concentré sur des taches auquel on comprend rien et d'accepter le monde qu'on lui porte sur un plateau avec beaucoup de nonchalance. Jamais surpris, jamais touché (il fait bien un "wow" quand une balle revient dans le chargeur de son glock pour la premiere fois, mais rien de plus).

Premier personnage principal noir chez Nolan, d'ailleurs. Il est interprété par John David Washington, le John Stallworth de Spike Lee, qui donne ici un jeu d'une grande nuance où il convoque tous les monstres sacrés du 7em art...Non je déconne. Il se contente juste d'être à donf, tel le spectre d'un actioner décérébré que cet acteur semble rêver de devenir. Après les deux figures paternelles à la dérive que furent Cobb dans Inception et Cooper dans Interstellar, après le chic brutal de Bruce Wayne et la lacheté attachante des p'tits rosbifs de Dunkirk, on tombe ici de très TRES haut avec cet acteur mono-expressif dont le simple objectif est de nous emmener d'un point a à un point b en faisant des boucles permanente entre les deux. Un premier pas dans la diversité qui sonne donc ici comme une mauvaise blague de la part de Nolan.

Le reste du casting suit le même schéma. Le trio Pattinson, Debicki, et Branagh tentent d'y apporter de la matiere sans succes (et pourtant Branagh pousse les potars vraiment à fond pour se donner un genre mastermind délirant mais sans succès). Autant de personnages sans saveurs, aux prises avec un univers qui parait aller à 2000 à l'heure sans trouver le temps de se poser. Rendez vous compte ! Les scène de repas sont tellement rushées que les entrevues s'arrêtent avant meme que la commande n'arrive à table. Les personnages accumulent les grosses ficelles, les explications de plans sont illisibles,...


Bref,un bordel sans nom.

Pourtant, Inception et Interstellar démontrent, quoi qu'en dise ses détracteurs, que Nolan est d'habitude en mesure d'allier l'efficacité à la profondeur. Des scénarios épais, bien construits, et des personnages émouvants, humains, luttant contre la peur et la manipulation (autre grand theme Nolanien) avec un discernement dicté par une foule de sentiments et d'expériences diverses. Bref, du cinéma. Du très bon cinéma. Alors comment expliquer Tenet dans ce cas ?
Eh bien, j'ai ma théorie. Mais faut faire preuve d'un minimum d'imagination. Si vous êtes un attentif du cinéma de Nolan, ça ne devrait pas être trop compliqué.


Et si...il en avait eut plein le cul ?Tout simplement.

Plein le cul de nous et de nos guerillas cinéphiliques à son sujet.
Imaginons Nolan en 2017, à la sortie de Dunkirk. Si le film est globalement bien acceuilli, il sait au fond de lui que les mêmes critiques vont revenir. Sa narration, non linéraire, sera mal accepté et on le pendra au pilori dans les commentaires youtube de ses trailers pour avoir osé convoquer des sentiments ambigus sur le patriotisme (très mal compris par la majeure partie des spectateurs de Dunkirk à sa sortie par ailleurs, mais passons...). De l'autre coté, ses fanboy vont s'ériger sans recul comme des murs saints face à la prétendue barbarie de ceux d'en face. Parce qu'il a beau s'appliquer à rendre ses films lisibles, à les décharger de leurs cotés brained et british, ca revient toujours au même. Il est bloqué, au fond de l'impasse de sa création, et il en a pour ainsi dire ras le cul de se casser le dos à inventer des scénars pointus avec des persos luttant face à l'emprise dévorante du temps pour alimenter une guerre d'estime entre puceaux décervelés. Alors il se pose, et imagine la saleté la plus prétentieuse qu'il peut pondre afin de s'assurer une bonne fois pour toute si ses spectateurs sont justes que des fainéants ou que des fanatiques.
Voilà comment, en bout de chaine, on se retrouve avec Tenet.

Ce film est la caricature d'un film de Nolan parce que Nolan l'a voulu ainsi. On ne peut imaginer un cinéaste aussi pointilleux que lui ne pas être en mesure d'entendre les critiques ou les vivats. Il a tout entendu, et voilà sa réponse: il vous emmerdes, tous autant que vous êtes. Ils vous emmerdes d'être aussi rapide à juger à l'emporte piece, à être si désireux de le faire rentrer dans une case de "néo-Hitchcock sans sel", ou a faire de lui une idole quand bien même il foire certains trucs. Alors il a compilé tout ce qui ne va pas dans son cinéma, et il nous l'a balargué dans la tronche comme pour dire: "Quoi ? Vous croyez vraiment que ça allait durer encore longtemps, ce bordel ?" Parce que comme je l'ais dit plus tot, c'est un homme sait très bien qu'on lui ouvrira toujours les vannes, et que le financement n'est pas le probleme. Alors pourquoi ne pas carrément lourder une bonne grosse boule puante pour que tout le monde reparte sur une base plus saine avec lui. De ce fait, on peut donc imaginer que son prochain film sera bien plus équilibré que les précedents, bien plus à l'écoute de son public. C'est du moins, tout ce que je lui souhaite.


Parce que Dieu que Tenet a été pénible à regarder. C'est l'anti-Inception. Le chocolat blanc du cinéma Nolanien, composé à 90 pourcent de résidu de cacao. Insensé, voire offensant quand je repense à ces lignes de dialogues qui invitent le spectateur à "ne pas chercher comprendre"...Dieu que c'est moche de faire ça !
En tout cas, j'espere que vous êtes tous bien fier de vous. Vous nous l'avez énervé, notre Nono. Et voilà le résultat !

Le-debardeur-ivre
3

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de Christopher Nolan

Créée

le 6 déc. 2023

Critique lue 253 fois

2 commentaires

Critique lue 253 fois

2

D'autres avis sur Tenet

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

236 j'aime

80

Tenet
guyness
5

Tenet, mais pas sans bavures

Un célèbre critique de cinéma expliquait (à moins que ce ne soit mon grand-père, qui n’était pas à un paradoxe près) que si une intrigue avait besoin tous les quarts d’heures d’un long tunnel...

le 25 août 2020

200 j'aime

28

Tenet
Behind_the_Mask
9

La relativité du temps et de l'approche du blockbuster contemporain

Il faudra un jour qu'on m'explique. Car, sans doute, je ne comprends pas tout. Encore une une fois, soupirerez-vous. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde sur le fait que le blockbuster made in USA,...

le 26 août 2020

145 j'aime

44

Du même critique

La Reine étranglée
Le-debardeur-ivre
9

Louis XXXTentacion.

La Reine étranglée est le second tome de la saga Les Rois Maudits de l'écrivain Français Maurice Druon , parut en 1955. Si je m'attardais dans la critique du précédent tome , assez vaguement car peu...

le 12 oct. 2018

7 j'aime

La Zone du dehors
Le-debardeur-ivre
4

Pardon , tonton Alain...Je le referai plus. Promis.

La Zone du dehors est un roman de science-fiction français paru 1999 et écrit par Alain Damasio. Damasio...Damasio...Ce nom vous dit quelque chose pas vrai ? Bah Damasio c'est un peu l'icone de la...

le 8 avr. 2018

6 j'aime

5

Le Roi de fer
Le-debardeur-ivre
8

La 13eme génération de TA RACE !

Le Roi de Fer est le premier tome paru en 1955 d'une saga historique qui en contient sept , à savoir Les Rois Maudits. Écrite par l’académicien Gaulliste et ministre de la culture de Georges...

le 15 juin 2018

6 j'aime

2