Tenet, Christopher Nolan (été 2020).
Il n’y a pas d’indicatif présent.
Tenet, le nouveau film très attendu de Christopher Nolan, en partie parce qu’il contraste avec les sorties post-confinement de comédies estivales médiocres, en partie parce que le cinéaste est déjà doté d’un renom exceptionnel, est un film de rentrée scolaire, qui fait travailler les méninges et réviser les temps. Nolan joue encore une fois avec nous, lance un défi aux spectateurs : celui de suivre le fil de l’intrigue de son film.
Encore bercé par le bruit des vagues et massé par les rayons du soleil, on ne comprend pas cette ouverture de film au rythme effréné d’un train qui nous ramène trop vite dans une réalité qu’on avait oubliée. Et ce rythme continue, et on ne comprend toujours pas, on saisit des informations, on voit les personnages enchaîner des actions filmées magistralement par le cinéaste, on fronce un sourcil. Alors, comme si l’écran voyait notre moue, il explique le principe du film et on croit enfin comprendre, un étau temporel, ceux qui vont vers le passé, ceux qui vont vers le futur, et le présent au milieu… la menace de destruction du monde dans une troisième guerre mondiale, froide et temporelle. (Vous avez compris ?) Alors, on se répète nos conjugaisons, il n’y a pas d’indicatif, tout est au conditionnel ; il n’y a pas de présent non plus, et le passé, susceptible de changer, n’est qu’une illusion qui n’a d’égale que la postérité. Pour sauver le monde et éviter ce conflit, il faut donc sauver le passé, le présent et l’avenir. (Vous avez compris ?) L’idée, géniale, c’est que l’on voit les traces de l’avenir dans le présent. Nolan, cinéaste du temps comme illusion et comme objet d’intrigue (Inception, Memento), tricote les temps, embobine les publics, puis détricote tout. Le film avance à rebours, et cela donne des scènes inédites : un bateau qui navigue vers l’avant sur des vagues qui vont à l’envers, des mouettes qui volent à reculons, et une course poursuite où les voitures roulent en arrière, en avant, on ne sait plus et c’est tant mieux. Tenet emporte tout sur son passage : on s’accroche, on se perd, on se retrouve, on croit comprendre, on est à nouveau perdu, on comprend autre chose, on nous explique, on nous égare, fin.
« Que je dégradasse les murs de la classe ».
Une fois ce principe déroutant compris, il ne reste du film que peu de choses : entre des dialogues lourds, des personnages à peine esquissés, à peine incarnés par des acteurs pourtant doués, les scènes d’action sont bien réalisées et le rythme construit brillamment. Christopher Nolan est un grand réalisateur, mais les bases du scénario restent fragiles. On tombe vite dans des situations absurdes où, à force de répétition, on oublie le sens de ce qu’on voit, à la façon d’un élève punit qui doit recopier 100 fois la même sentence le plus vite possible avant de pouvoir aller faire autre chose. (Antoine Doinel dans Les 400 coups conjugue à l’imparfait du subjonctif une phrase, qui sonne certes bien mais dont on ignore la signification.) Tenet est un peu comme ça (le synopsis insiste d’ailleurs : « muni d’un seul mot – Tenet – … »). La fin, comme un cheveu sur la soupe, se veut bouquet final mais s’avère demi molle. Rien ne vaudra sans doute la fin de la trilogie Dark Knight, de ce même Nolan…
Le film est très imparfait (du subjonctif), mais reste impressionnant. Ce n’est sans doute pas le chef d’œuvre de Nolan, mais il s'inscrit dans la lignée (en progrès) du mitigé Dunkerque, qui avait les mêmes caractéristiques : faiblesses scénaristiques (hormis le principe cérébral/temporel de base, qui, lui, est génial) étouffées par une bonne mise en scène.