Je voyais les "grands critiques ciné" Youtube crier au mauvais film avec moults gesticulations et à grand renfort de miniatures éclatées au sol.
Et bien non tas de cons esclaves du clic facile : Tenet est un bon film.


Depuis le temps que Nolan caressait l'idée de faire un Bond / Mission Impossible à sa sauce, le bougre a enfin sauté le pas.
Seul problème : j'aime beaucoup son cinéma, mais il ne sait pas filmer (et chorégraphier si c'est lui qui le fait) l'action. Ça a toujours été vilain et problématique, sauf peut-être dans Dunkerque, mais il triche puisqu'on n'y voit jamais les méchants vilains.
Et bien là c'est enfin bien. Bien, pas incroyable, mais c'est lisible comme tout et les scènes, même si elles reposent sur des gimmicks (comme souvent avec le bon Chris) valent globalement leur pesant d'arachides.
Est-ce qu'on peut enfin dire que l'aspirant a dépassé son modèle (Michael Mann) ? Non pas encore, il reste un petit bout de chemin à faire, mais au bout de 11 films on va commencer à y croire.
Là on a des idées de réal, un découpage plus réfléchi, moins brouillon, et un montage au diapason. Banco !


Autre surprise : l'absence du petit frère au script. C'est assez étonnant et ça se ressent un petit peu je trouve.
L'écriture du personnage de la mère et en-deça de tout, une caricature de personnage fonction qui ne se caractérise que par l'appui lourdeau : "Je suis mère, mon fils représente tout pour moi".
Une James Bond girl un peu light, mais faut pas déconner, supérieure à 90% de ses homologues réduites la plupart du temps à un fessier et un décolleté pigeonnant. Parce que la dame a un arc narratif certes mince, mais bien présent.
Pour le reste, les dialogues sont surprenament expéditifs et assez peu explicatifs. Personnellement ça me plaît ces petites béances, ces petits vides à combler avec mon imagination, ça apporte - paradoxalement - une vraie richesse à l'intrigue.
Le personnage de la scientifique établit dès le début une sorte de contrat moral : si vous ne voulez pas vous prendre la tête, ce n'est pas grave, vous apprécierez vous aussi le film. Le film ne sera pas tant cérébral que sensitif.
Certains verront ça comme un aveu d'échec, en comparaison d'Interstellar ou Inception, mais je trouve que les reproches de films pour grocervo ont toujours été exagérés ou lancés à grand renfort de mauvaise foi.
On parle de Nolan, pas de Lynch.
Non, la réelle déception scénaristique réside dans le personnage de Sator, un méchant pas très impressionnant (en VF en tout cas, faute de mieux) qui partait pourtant sur de bonnes bases avec une cause pas totalement mégalomaniaque.
Le reste c'est quasiment que du bon : j'ai beaucoup aimé le "Protagoniste" et Neil, et leur relation très particulière. J'ai aussi aimé cette façon de ne pas prendre parti vis-à-vis d'une structure scénaristique généralement casse gueule.
Les paradoxes existent, mais ne sont jamais levés : on ne sait pas, les personnages et les spectateurs ne peuvent finalement avoir qu'une conviction ou une croyance.
Et puis surtout : on retrouve une fois encore son obsession du temps, mais cette fois centrale et sans artifice.


Les deux interprètes JD Washington et Pattinson s'en sortent vraiment très bien je trouve.
Le premier retrouve une partie du charisme animal de son père (sa façon d'évoluer dans l'espace), couplé avec un flegme que ne renierait pas 007. Le second n'avait plus rien à prouver à mes yeux depuis quelques années déjà.
Branagh par contre je serai beaucoup plus mitigé. Pourquoi en faire nécessairement un russe en dehors d'un hommage à la tradition jamesbondesque ? Un aristo anglais aurait tout aussi bien fonctionné et nous aurait évité cet horrible accent, que je devine tout aussi horrible en V.O. pour nos amis russophones. Petit pouce en l'air pour Aaron Taylor-Johnson également, peu de temps d'écran mais une présence indéniable.


Dernière petite chose : le score de Ludwig Göransson me faisait craindre une reprise docile des grosses ficelles de Zimmer.
Si dans un premier temps c'est effectivement l'émulation, le compositeur prend assez rapidement la tangente pour se diriger vers des nappes électroniques très efficaces - en tout cas sur moi - renforçant joliment la tension dans les instants de bravoure du long métrage.


On a donc in fine un très bon film d'espionnage, dont la particularité repose sur une idée visuellement inédite.
Un duo de personnages forts et intrigants, plongés dans une intrigue temporelle bien ficelée qui délivre son lot de séquences d'actions fort bien réalisées.
Et surtout un film calibré pour tout le monde : un genre populaire revitalisé par un concept très bien utilisé avec des niveaux de lecture à la demande.
La parfaite compréhension n'y est pas nécessaire, et je trouve que ça allège considérablement l'ensemble.

YvesSignal
7
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Créée

le 31 août 2020

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Yves_Signal

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