"Opera" (ou "Terreur à l'opéra" en version française) est le fruit de plusieurs frustrations. Contacté par l'opéra de Maceria pour mettre en scène le Rigoletto de Verdi, Dario Argento fut évincé du projet pour des raisons inconnues. Ce qui donnera lieu à ce long-métrage proposé depuis 2017 dans sa version intégrale en France, inédite depuis 1987 donc- et qui était autrefois paru sous une version réduite d'un bon quart d'heure, expurgée -parait-il- de tout sens, de tout rythme au grand dam du maestro qui l'aurait à jamais reniée.


"Opéra" est par ailleurs considéré comme le dernier chef d’œuvre du maître transalpin, voire comme son dernier bon film en date. Il serait légèrement excessif d'affirmer que sa carrière se termine ici, tant les quelques films suivants comportent leur lots de bonnes idées, au profit d'une réalisation très plate et d'une progressive absence de mise en scène, il est vrai.


Celui qui débutera sa carrière en tant que co-scénariste de "Il était une fois dans l'ouest" de Sergio Leone (rappelons-le) deviendra au fil des années un réalisateur renommé, spécialisé dans le giallo,un sous-genre du film d'horreur d'origine Italienne, dont les intrigues sont parsemées de tueurs en série à l'identité inconnue (dans un premier temps), de meurtres à l'arme blanche, de fétichisation de ces dernières et comportant de l'érotisme.


Dès son premier long-métrage (L'oiseau au plumage de cristal, 1969), Argento signe un film à la réalisation irréprochable, déja très professionnelle,considéré d'emblée comme son premier chef d’œuvre et l'un des édifices de genre. Son second film, "Le chat à 9 queues" (1971) est une œuvre en demi-teinte,souffrant de quelques longueurs, d'un rythme lent, d'une trop grande palette de personnages (quand l'identité du tueur est dévoilée, la question qui nous viendra à l'esprit sera la suivante: "Mais c'est qui encore?") et d'un manque de plans iconiques. Le thème composé par Ennio Morricone est agréable mais hors sujet. La même année, "Quatre mouches de velours gris" arrive sur les écrans et le monsieur nous revient avec un très bon giallo qui viendra clore en beauté cette trilogie animalière non-officielle.


Après une incursion rapide dans la comédie historique pour des raisons purement contractuelles (Cinq jours à Milan, 1973), ce sera la révélation: "Les frissons de l'angoisse" en 1975. Argento parvient à parfaire son style à l'extrême et offre un film brillant sur tous les plans. Dans sa lancée, il quittera le giallo pour se prêter brièvement au surnaturel, et c'est avec "Suspiria" (1977) qu'il réitère cet exploit, le long-métrage étant somptueux, une œuvre contemplative d'une beauté à couper le souffle, d'une rare poésie et accompagnée par la musique inoubliable des Goblin. L'un des meilleurs films d'horreurs jamais réalisés, avec "L'exorciste" de Friedkin, ni plus ni moins.


Il poursuivra avec "Inferno" (1980), la suite de Suspiria. Moins passionnante que son aîné, cette suite demeure moins naturelle, plus artificielle mais demeure un très bon film, quoique ne surpassant jamais son grand frère. Les critiques négatives pousseront le réalisateur à mettre de côté la seconde suite de Suspiria, qu'il finira par réaliser en 2007 afin d'achever la trilogie dite des "trois mères". Après cet échec critique, un succint retour au giallo s'imposera (Ténèbres, 1982) qui recevra un accueil tiède.


"Phenomena" en 1985, est l'hybride cauchemardesque et fantaisiste du giallo et du surnaturel, le flirt parfait entre entre "Suspiria" et les gialli en général. Et enfin, l’œuvre qui nous intéresse aujourd'hui: "Opéra".


L'histoire est celle d'une jeune cantatrice qui voit son rêve se réaliser, celui de devenir une cantatrice au sein de l'opéra "MacBeth", mais par ailleurs ses craintes et ses peurs également car comme beaucoup le savent, MacBeth est un opéra maudit, lié à des accidents et à des morts pour la plupart des cas.


"Opéra" est ainsi la matérialisation des frustrations du réalisateur dont on y décèle les représentations et symboliques: le metteur en scène dans le récit est un réalisateur de films d'horreur attelé à l'aboutissement de cet opéra, en dépit de critiques très virulentes à son égard (Argento étant lui-même ex-critiques et s'est vu systématiquement confronté à la critique depuis "Ténèbres" sans oublier son retrait du projet). Les thèmes sont récurrents de sa filmographie: Un tueur en série, des meurtres graphiques très violents et stylisés, la mort, la vengeance, et l’obsession.


Il est à noter que ce film, à l'instar de "Macbeth" a été un véritable calvaire pour Argento: sa femme demande le divorce, un de ses amis proches décède du sida, son actrice principale refuse de participer au tournage à la dernière minute prétextant un cachet trop faible, remplacée en urgence par une actrice qui sera à l'origine de nombreux conflits avec ce dernier, il est également blessé sur le tournage et pour terminer, à sa sortie, le film est réduit dans sa durée, totalement remonté par les producteurs, est voué à l'échec et comme si ce n'était pas suffisant, les critiques seront assassines.


"Opéra" sera annonciateur de la lente descente aux enfers du maître qui ne s'en relèvera plus jamais,à l'instar de sa filmographie post-opéra (de "Deux yeux maléfiques" à "Le sang des innocents") et jusqu'à ce point de non-retour atteint à partir de *"The card player" (*2004) jusque "Dracula 3D" (2012),le maître restera cantonné à des productions sans ambition, des séries Z, nanardesques par moments et dépourvus de tout style.


Pour en revenir à notre sujet, "Opéra" n'est sans doute pas un chef d’œuvre mais demeure un film d'une rare maîtrise sur le plan technique et contenant quelques touches poétiques non négligeables. Argento manipule sa caméra avec virtuosité et enchaîne les plans avec fluidité et maîtrise, doté d'un sens très aigu de la mise en scène. Sur ce point, "Opéra" est une réussite totale.
A l'instar de la plupart de ses films au début de sa carrière, certaines scènes-chocs demeurent inoubliables et ce sera le cas ici. Nous penserons par exemple à ce magnifique plan d'ouverture dans lequel nous percevons la majestuosité de l'opéra à travers l’œil d'un corbeau, ou encore à ce plan grandiose dans lequel une balle traverse le judas d'une porte pour se loger dans l’œil d'une femme avant de terminer sa course dans un téléphone posé à même le sol, rendant de cette manière tout contact avec les autorités impossible. Malgré l'inventivité de la mise en scène, Argento peine à reproduire le même schéma sur le fond. Le scénario parait confus, souffre de diverses lacunes telles qu'une intrigue secondaire sous-exploitée et sur laquelle reposera la scène finale, scène finale qui d'ailleurs, apparait comme téléphonée et étirée jusqu'à la moelle. L'actrice principale, la Lady Macbeth du titre, nous expose un acting très limité. Tout le monde ne semble pas être sur la même longueur d'ondes de ce point de vue là. Ce serait un crime de ne pas évoquer Claudio Simonetti, un rescapé des Goblin qui signe ici un thème discret mais échanteur.


"Opéra" n'atteint jamais la maîtrise d'un "Profondo Rosso" ou la pertinence d'un "Suspiria" et demeure en l'état un film inégal, remarquable dans sa mise en scène, à la fois confus, bordélique dans son récit mais si beau dans sa forme et lyrique dans son plan final.


Actuellement, Argento est sur deux projets: son prochain film, qui est en pré-production depuis quatre ans, et l'écriture d'un recueil de contes noirs dont nous sommes sans nouvelles depuis dix mois. Bien que les scénarios n'aient jamais été le point fort du maître (il reconnait qu'il est plus intéressé par la forme que le fond), gageons qu'il retrouvera son mojo et nous ne pouvons que lui souhaiter une bonne fin de carrière, en espérant qu'il ne s'y casse davantage plus les dents sur ses futurs projets.) Allez Dario, on croit en toi.


Edit: Son projet de film a été officiellement annulé en 2018.


Pour écouter le thème du film: https://www.youtube.com/watch?v=wK_f3k65tiA

QuentinDubois
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le 16 févr. 2018

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Quentin Dubois

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