(Toujours intéressé, je suis, par les films dirigés par des acteurices.)
Celui-ci, sur des thèmes lourds (l'inceste, la domination masculine, la torture psychologique, l'indifférence de la société face à ces problèmes, la reconstruction mentale), évoque la danse hésitante d'une femme blessée, sortant d'une carcasse de voiture accidentée dont elle ignore encore que ses compagnons de virée sont tous morts.
La grammaire est volontairement troncative, haleteuse et casse-rythme. C'est.. fait.. exprès.. pour.. obliger.. les.. spectres-acteurs à.. réapprendre.. à.. respirer. Sous l'eau, personne ne vous entend prier.
Imogen Poots, toute cassée de l'intérieur, explore-ose ses chairs et ses os en déchirures-à-l'âme puis ramasse les morceaux, les recoud avec ses propres boyaux, devenue sa propre Eurydice en l'absence d'un Orphée fiable. Son incarnation de Lydia Yuknavitch constitue l'un de deux éléments qui font de ce film plus qu'un banal biopic. L'autre, c'est le montage, visiblement fait à la main, sans doute à la Motorola voire à la colleuse manuelle, par Olivia Neergaard-Holm (les débris organiques qui ponctuent le bord-cadre çà et là le prouvent). Et, quelque part, je ne sais pas pourquoi, ça m'a fait du bien de revoir ces petits machins profondément humains.
#FuckAIs
Donc, Lydia-brisée-par-un-père-violeur-et-une-mère-écrasée, après avoir échoué à se reconstruire par la natation de compétition, s'extrait peu à peu du naufrage grâce à sa soeur enfuie jeune (Thora Birch) puis grâce à un atelier d'écriture mené par Ken Kesey, le mythique auteur de Vol au-dessus d'un nid de coucou. Elle fera partie du collectif qui a écrit le recueil collaboratif Caverns (1988). Pour moi qui ai dirigé des ateliers d'écriture pendant plus de vingt ans et mené la publication de deux romans-mosaïques (La bibliothèque nomédienne et Les Vicariants), c'est une confirmation que ces ateliers peuvent réellement, concrètement AIDER des gens. Même si, lorsque des personnes en détresse arrivent dans un atelier, il est toujours difficile, voire impossible, de savoir comment on va pouvoir les aider. La plupart y parviennent, heureusement. En général, sans nous, les animateurices. Nous, on est là pour fournir le contexte. Mais sans contexte, il n'y a pas de texte. Et sans texte, il n'y a pas d'histoire. Et sans histoire, il n'y a personne. Je veux dire: il n'y a pas de personne.
Bref, une réalisatrice est née, dans la douleur et la joie dures, dans le respect et la sororité, la grâce et l'humanisme.
PS : une petite curiosité : Jim Belushi joue ici le rôle de Ken Kesey à la fin de sa vie, bienveillant et lunaire, tout au bord du suicide.. alors que dans The Whole Truth (2016), il jouait précisément le contraire, un père abusif et autoritaire, alter ego du père de Lydia. L'acteur avait-il besoin d'exorciser ce démon? En tout cas, il excelle dans les deux et s'offre ainsi un grand écart moralement intéressant.