Rares sont les films dont la forme vaut à elle-seule le visionnage. Avec une forte influence Mad Maxienne (terme non-officiel), Sogo Ishii nous livre un film-expérience unique, qui préfigurait déjà Tetsuo (Shinya Tsukamoto).


Dès la première séquence, la photographie crade nous agresse la rétine : noir et blanc très constaté, effet de pellicule endommagée... On a l'impression de regarder un ancêtre des films Grindhouse, tant l'oeuvre semble jouer avec les codes esthétiques du cinéma bis en toute conscience. Puis vient un chaos d'images, mélangeant archives de guerre (dont la bombe atomique, principal stigmate du conflit) avec un visage étrange dans une télé cathodique, accompagnés d'une bande-son de metal rugueux à forte tendance noise. Le ton est directement donné : Asia Strickes Back est chaotique, expérimental, sombre, et d'un pessimisme absolu sur l'avenir de l'Homme.


Le film nous parle de soldats dans une base souterraine ayant des pouvoirs télépathiques. Dès les plans qui nous décrivent le lieu, un long-métrage nous vient en tête : Tetsuo. Comme dans le chef d'oeuvre de Tsukamoto (et dans son cinéma en général), le mouvement caméra-épaule est au centre de la mise en scène : que ce soit pour nous montrer ces amas de tuyaux crachant de la vapeur ou l'entraînement des soldats, la caméra est presque toujours en mouvement. Et quand ce n'est pas la caméra qui se déplace dans tous les sens, c'est le montage qui viendra marteler un rythme insoutenable (surimpressions hallucinantes, accélérés, répétitions) : Asia Strickes Back sait nous déstabiliser constamment par ses éléments de mise en scène, et entraîner l'oeuvre dans une fureur dont on ressort lessivé. Le monde dépeint est littéralement instable, l'individu évolue dans un rapport décentré avec son environnement.


Mais le film doit aussi énormément à sa bande-son, conçue évidemment spécialement pour lui. Le moyen-métrage étant muet (les dialogues sont présentés à l'écran en anglais), la musique construit intégralement le montage (en le renouvelant sans cesse) et raconte une histoire à elle-seule, en plus de participer au rythme furieux. Là aussi, on pense évidemment à Tetsuo, même si celle-ci ne contient pas les éléments electro du film de Tsukamoto (quoiqu'elle s'apparente presque à de l'ambient à certains moments !).


Et si j'ai dit que la forme vaut à elle-seule le visionnage, cela ne veut pas dire que film n'a aucun fond : traitant directement de l'aliénation militaire (les drogues utilisées sur les soldats font d'ailleurs écho à la guerre du Vietnam), des répercussions et traumatismes de la bombe atomique, le moyen-métrage reste malgré tout assez rudimentaire dans l'écriture des dialogues, et possède un coup de mou assez gênant vers sa fin (surtout en comparaison avec le rythme frénétique du reste du film).


Finissant dans un plan iconique revendiquant autant ses influences de série B que de manga SF, le film ne nous cache pas son pessimisme quant à l'avenir de l'humanité : un héros furieux certes, mais un héros tout seul payant les frais de nos erreurs passées. On retrouvera cette vision sombre du futur dans la dernière section de Tokyo Blood, du même réalisateur.

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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes 2017 : Les films que j'ai vus et Les oubliés du cinéma japonais

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le 7 sept. 2017

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