Après Floride (Philippe Le Guay, 2015), il est temps de parler de la seconde adaptation de la pièce Le Père (2012), cette fois-ci réalisée par son créateur Florian Zeller. Bien que tourné en anglais, le film est bien une coproduction franco-anglaise. L'aventure commence en France avec Zeller démarchant les producteurs Jean-Louis Livi (derrière le premier court-métrage du réalisateur, Nos frivolités) et Philippe Carcassonne (coproducteur de Floride) avec l'obligation qu'il puisse avoir le final cut. Christopher Hampton adapte la pièce avec le réalisateur, ce qui n'a rien d'anodin puisqu'il s'était chargé de la traduction de la version anglaise de la pièce. Zeller parvient à convaincre Anthony Hopkins et Olivia Colman de jouer les rôles principaux du film.


Mais la production patine dans un premier temps car un investisseur se désiste. Prise par la série The Crown (2016), Colman doit tourner sur un créneau spécifique, ce qui rend le problème d'autant plus grand. Fin 2018, la production parvient à trouver un investisseur fort avec la chaîne anglaise Film 4 et The Father se tourne bien en mai 2019 pour six semaines.


Montré pour la première fois à Sundance début 2020, le film fait forte impression mais la crise sanitaire commence à faire rage et il doit attendre de sortir au cinéma. The Father ne sort qu'un an plus tard, mais cela ne l'empêche pas de concourir pour les Baftas ou les Oscars avec succès (meilleur acteur pour Hopkins, meilleur scénario adapté pour Zeller et Hampton).


Si l'on connaît déjà la pièce ou que l'on a vu Floride, certains aspects ne changeront pas comme un appartement considéré par le père comme le sien (alors qu'il vit chez sa fille), la fixation sur la montre et des changements frappants d'humeur. En revanche, The Father n'est pas un film doux-amer entre comédie et drame. C'est un drame.


Mieux, il a tendance à partir dans le fantastique ou le thriller parano avec un personnage qui ne sait plus du tout où il est, ce qu'il fait et avec qui il parle. Zeller joue sur une structure déformée qui fait toute la richesse de son adaptation. Une sorte de puzzle où le spectateur va se retrouver à la place du personnage. Telle scène se passe avant ou après celle-ci ? La personne que l'on vient de voir est sa fille ou il s'agit d'une autre personne ? Est-ce son visage ou celui d'une autre personne ? Le spectateur risque d'être perdu tout comme Hopkins avec des acteurs qui jouent plusieurs rôles. On ne sait donc jamais s'il s'agit de la fille, de l'autre fille, de l'infirmière ou du gendre.


Même l'appartement semble muter avec des éléments qui apparaissent et disparaissent, comme des peintures. Tout est embrouillé et c'est là que le film commence à faire peur. Comme dans Floride, le mot alzheimer n'est jamais dit, mais on y pense toujours. Le personnage d'Hopkins souffre à l'écran. Il peut dire les pires saloperies possibles, mais sans s'en rendre compte, ce qui rend son personnage parfois dur involontairement. Mais c'est aussi le cas de ses proches.


La fille encaisse tout. Le fait de vivre avec son père, les divergences d'opinion avec un compagnon qui est à deux doigts de la crise de nerfs malgré ses airs soignés, les remarques blessantes du père, les allusions à sa sœur (Zeller se veut plus direct que Le Guay là-dessus)... Le personnage n'explose pas, subit tout en essayant de bien faire dans une situation extrême. La vision qui est donnée de la maladie et de ses conséquences sur le malade et son entourage est terrible et on se dit surtout que cela peut arriver à tout le monde.


The Father est donc un film dur, triste et sous des airs multiples, au point de désarçonner plus d'un spectateur. Mais c'est aussi ce qui fait toute sa singularité et sa puissance, en plus d'un casting impeccable et impliqué.

Borat8
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le 7 juin 2021

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