On aime bien ici la petite musique des films de Jason Reitman (fils d’Ivan "Ghostbusters" Reitman) et cette observation acide de la société américaine qu’on retrouve à travers sa filmographie (Thank you for smoking, Up in the Air, Young Adult). Il s’intéresse pour la première fois ici à un fait réel avec le renoncement en 1988 du favori à la course à l'investiture démocrate Gary Hart (Hugh Jackman), sénateur marié du Colorado, persuadé que les médias fermeraient les yeux comme ils le firent pour Franklin Delano Roosevelt,  John Fitzgerald Kennedy et Lyndon B. Johnson sur sa liaison avec la mannequin Donna Rice (Sara Paxton). Cette révélation lui barrera pourtant la route de la Maison-Blanche et le film tente d'expliquer pourquoi. Adapté d'un livre du journaliste politique Matt Bai par l'auteur lui-même avec Reitman et l'ancien consultant politique Jay Carson, le scénario tente de faire la synthèse des  nombreux facteurs qui ont provoqué cette évolution de la politique américaine.


Reitman marche sur les pas du Robert Altman de Nashville tentant de créer une mosaïque de voix de personnages qui se superposent pour dessiner un instantané de l'époque : on suit les discussions de dizaines de protagonistes (certains restant anonymes) dans les bureaux des grands journaux, les bars où se retrouvent les acteurs de la campagne. On suit Hart qui tente de gérer la crise conjugale avec sa femme Lee (l'excellente Vera Farmiga), tandis que son directeur de campagne Bill Dixon (J.K Simmons toujours impeccable dans ces rôles un peu bourrus) rallie les troupes pour tenter de limiter les dégâts. Ce tourbillon fini par  brouiller l’intention du film qui ne se repose quasiment que sur sa thématique en voulant couvrir l'ensemble des protagonistes de l'histoire de Hart: les tensions  entre les journalistes et les rédacteurs en chef sur fond de questions d'éthique et de responsabilité de la presse dans pas moins de deux journaux différents (le Miami Herald et le prestigieux Washington Post où l'on  retrouve le célèbre rédacteur en chef Ben Bradlee présent dans Les hommes du président et Pentagon Papers  incarné ici par Alfred Molina (avec beaucoup plus de finesse que Tom Hanks dans le film de Spielberg), des stratégies internes de campagne pour lutter contre les attaques  et les fractures du mariage du candidat. Pourtant dans l’efficacité de ce  patchwork on perd  la vraie ligne directrice de cette chronique d'une mort politique annoncée. Le film aspire à marcher dans les pas des grands films politiques des années 70, comme en témoigne le grain  de la photographie d’Eric Steelberg et l’attention du monteur Stefan Grube sur le rythme des performances d'acteurs plutôt que sur le récit. Mais ces films  avaient des points de vue plus précis sur leurs sujets.


La critique  vis-à-vis de la presse tabloïd s'incarne dans le portrait de Tom Fielder (Steve Zissis), le journaliste du Miami Herald, qui en révélant l'histoire est devenu un pionnier du journalisme de traque allant jusqu'à planquer devant le domicile de Hart. Pourtant la façon dont il est dépeint par Reitman ne nous permet  pas de trancher  entre le journaliste tenace et le parasite d’autant qu'il a effectivement mis à jour un mensonge du candidat. Le film  montre la contagion inévitable de ce type de journalisme même sur les grands titres de la Presse à travers A.J. Parker (Mamoudou Athie) journaliste du Washington Post, qui ayant pourtant un rapport de confiance avec le candidat finira par y sombrer lui aussi quand l'histoire sera devenue trop importante pour être ignorée même par la vénérable institution.


Mais parfois la thèse défendue par The Front Runner apparaît discutable, et Hart, incarné par un Hugh Jackman évidemment charismatique (malgré une perruque un peu too much) est dépeint comme un homme luttant pour protéger sa vie privée et celle de sa famille contre la prédation des médias. Or, l'argument selon lequel la vie politique devrait être protégée contre les intrusions dans la vie privée semble incongru car  le film ne dissipe pas le sentiment  que les pulsions de Hart, aussi brillant qu'il fut, auraient pu entacher son jugement politique. Le film donne l'impression d'une personnalité délibérément obscure, cachant une part de lui-même au public et même à ses collaborateurs dévoués et montre de fait son incapacité à être pleinement honnête. Dans une autre séquence, on voit Ben Bradlee  se remémorer le temps où les journalistes ignoraient la vie sexuelle des hommes politiques. Cet arrangement n’est pas explicitement approuvé, mais la logique du film semble l'associer à de nobles traditions de la démocratie américaine qui auraient disparu avec la tabloïdisation de la presse. Reitman gagne toutefois des points pour son traitement empathique de la maîtresse de Hart, Donna  Rice (Sara Paxton), qui se présente comme un pion dans un jeu qu’elle n’a pas choisi. Il bâtit également une intrigue secondaire dans laquelle la jeune planificatrice de campagne Irene (Molly Ephraim) et une Donna Rice effrayée évoquent la vision rétrograde de la société sur les femmes qui définit leurs rôles à ce moment de l'histoire contemporaine. Autre relation réussie, celle à l'intérieur de la campagne entre Hart et  Dixon qui oppose un candidat intellectuel qui ne comprend pas pourquoi la coiffure, la personnalité et les barbecues sont aussi importants et un manager de campagne exaspéré qui sait pertinemment que les bonnes idées ne suffisent plus à l'ère de la télévision. Mais en s’attachant plus à la symbolique  de l'histoire de Hart plutôt qu'à un portrait intime, malgré le talent de ses interprètes et sa direction d'acteurs,  Reitman peine à nous impliquer vraiment dans une histoire qui apparait encore plus avec notre recul, comme anecdotique.

PatriceSteibel
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le 1 févr. 2019

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