Quand le cinéma se prend pour la peinture

Alors que le scénario de *The Immigrant*propose une histoire fascinante (le périple d’une jeune immigrante aux États-Unis), dans un décor chéri du public (New York, dans les années 20), avec a priori un casting charismatique, le film échoue sur tous les plans sauf celui de l’esthétique.


Ewa et Magda, deux jeunes polonaises, débarquent à Ellis Island, dans l’embouchure de l’Hudson River, après un voyage en bateau mouvementé. Dans la longue file d’attente pour obtenir le sésame qui leur permettra de rejoindre Manhattan, les officiers remarquent la toux et le teint pâle de Magda. Craignant qu’elle ne soit atteinte de la tuberculose, ils l’envoient en quarantaine. Ewa (Marion Cotillard) se retrouve seule et son odyssée new-yorkaise commence. Alors qu’elle vient de se faire refouler au guichet parce que « l’adresse de son oncle n’est pas valide », accusée de « moeurs légères » à propos d’un incident sur le bateau, et qu’elle doit être renvoyée vers la Pologne, un homme l’aborde dans un couloir. Il s’appelle Bruno et peut la faire embarquer sur un ferry vers Manhattan. Ewa quitte alors Ellis Island en compagnie de Bruno (Joaquin Phoenix), avec la promesse et l’espoir de revenir chercher Magda.


Des personnages incomplets et improbables


Le scénario est prometteur. On s’attend à ce qu’Ewa traverse des épreuves difficiles, qu’elle souffre, qu’elle s’en sorte, qu’elle tombe sur de mauvaises personnes, des bonnes, qu’elle vive, qu’elle survive, qu’elle ait de la chance, de la malchance, qu’elle galère… Le spectateur n’est pas dupe, une jeune et jolie polonaise dans le Manhattan des années 20 ne connaîtra certainement pas la vie en rose. Et c’est là que le film est horriblement décevant. Il est plat. Il ne raconte pas ce qu’il raconte. Les personnages sont vides et très peu attachants.
Ewa lasse avec ses yeux toujours implorants, elle n’a aucun tempérament, aucun caractère, elle se laisse porter tout au long du film. On dirait presque qu’elle est elle-même spectatrice de son destin. Quand à Bruno, il devient vite ridicule en maquereau transi d’amour. Le summum : « Je veux que tu m’aimes ! » lancé dans un couloir sombre entre deux titubements alcoolisés. Il est un homme colérique, orgueilleux, fier, mais impuissant face à ses sentiments pour Ewa. Des sentiments complexes mais artificiels, sortis de nulle part, incompréhensibles et peu crédibles. Jeremy Renner incarne un magicien, Emil alias Orlando, qui s’éprend lui aussi de la fade Ewa. Apparemment, il a eu dans le passé quelques querelles avec Bruno. Mais là encore le personnage est terne. Ils se détestent, se battent pour la même fille, font des références à des évènements passés qui les opposent, et on n’en sait pas plus. C’est léger.


Une simple succession d’images


Il manque beaucoup de choses à ce film. Il manque du sexe, de la violence, il manque de l’amour, de la haine, il manque de la colère, de l’énergie. Il manque de la vie. De l’humain. Il y a un sentiment en revanche dont on overdose presque : la pitié. Pitié pour les personnages pathétiques dans le mauvais sens du terme, et pour le réalisateur, qui passe à coté de son film.


The Immigrant est un tableau sans âme. Les plans sont très beaux, les lumières chaudes dans le théâtre où se produisent les « colombes » de Bruno, froides quand elles sont contraintes de s’exhiber sous un pont de Central Park. Les décors et costumes sont réussis, on remonte dans le temps (même si on ne voit pas beaucoup New York). Il y en a deux particulièrement impressionnants : Ewa est allongée dans un lit en train de discuter avec un client. Elle a les cheveux lâchés, qui tombent sur ses épaules nues, et la lumière du soleil brisée par les fentes du volets lui caresse la peau. C’est d’ailleurs l’un des rares moments où Ewa est vraiment vivante, il y a une lueur particulière dans son regard, entre gratitude et mépris, envie et répulsion. Le deuxième est le plan final, magnifiquement construit. Il est saisissant.


Au final, The Immigrant n’est ni une histoire d’amour, ni vraiment un drame puisque aucune émotion ne passe, ni un film historique, ni un film d’apprentissage puisque le personnage d’Ewa évolue à peine du début à la fin. C’est un film qui ne raconte rien. C’est un tableau. Et encore, certains tableaux en racontent bien plus.

lhovh
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le 22 mai 2015

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