Ce qui frappe en découvrant The Intruder de Roger Corman est la manière dont le cinéaste allie de longues séquences de paroles, incarnées par les diatribes de son personnage principal à des moments d’actions purs, consubstantielle au cinéma Américain.
Cette double ambition est aussi le reflet d’un moment particulier du cinéma Américain qui, au début des années 60 notamment, faisait lentement et non sans difficulté, le deuil de l’Age d’or des studios et se tournait de plus en plus vers un World Cinema notamment Européen. Rapidité d’exécution, anti-héros et impossibilité d’une explication rationnelle des évènements prolifèrent alors.
Corman a longtemps été, et est peut-être toujours, connu pour avoir lancé de nombreux cinéastes de la génération dite du Nouvel Hollywood (Scorsese, Coppola, Demme pour ne citer qu’eux) et pour avoir su créer un système de production indépendant autour de films aux budgets souvent dérisoires, exploitant la plupart des genres, faisant appel à une troupe d’acteurs et cinéastes pour la plupart novices et qui marqueront le cinéma Américain à venir.
Ainsi, The Intruder fait office de véritable pépite au sein d’une filmographie souvent considérée, à tort ou à raison, comme arriviste. Ce film, le préféré de son cinéaste, a la force visuelle du Psychose d’Hitchcock ou des films de Samuel Fuller de la même époque (Schock Corridor, The Naked Kiss). Le parallèle avec ce dernier est intéressant dans le sens où les deux films mettent en scène l’arrivée d’un personnage (une ex-prostituée chez Fuller voulant tourner la page, un soi-disant représentant politique de Washington D.C chez Corman) au sein d’une bourgade du Sud des Etats-Unis. Pour l’un comme pour l’autre, cette arrivée permettra le dévoilement des tares d’une société Américaine rarement filmées aussi frontalement.
En cela, The Intruder (littéralement l’intrus) tout de blanc vêtu, métaphore à peine voilée d’une Americana blanche du Sud aura pour effet de catalyser le racisme latent, encore masqué par le vernis de civilisation et le respect d'une forme de démocratie. En effet, l’action du film se situe au moment précis des réformes autorisant les lycéens noirs à suivre des cours dans des établissements publics.
Les habitants, certes réfractaires à cette décision, s’y plient tout de même à cause d’une notion fondamentale et si souvent abordée dans le cinéma classique à savoir la Loi. Autant un moyen de défense des libertés individuelles qu’une façon de faire peuple autour d’une cause commune. Mais du peuple à la foule (dont la psychologie est toute autre), il n’y a qu’un pas dont le trajet plastique et thématique sera l’un des sujets du film. En effet, il est intéressant d’observer au début du film la manière dont le protagoniste (Adam Cramer) intègre la communauté par le bout, suite de rapports singuliers, individuels. Gendre idéal, voisin amical, charmeur, autant de termes revenant fréquemment pour le décrire. En réalité, c’est à la création d’un héros que l’on assiste, passage de l’individu au collectif, à la fois cristallisation des traits communs des habitants tout en dépassant cela par l’éloquence des prises de paroles, extra-ordinaire au sens premier du terme.
La tentative de compréhension du personnage principal par une grille d’analyse psychanalytique est, certes effleuré par Corman, mais n’est pas ce qui choque proprement le spectateur. Un fou est presque rassurant et, au fond, le racisme apparait comme un moyen parmi tant d’autres que Cramer aurait pu adopter pour subjuguer la foule et intégrer la communauté.
Une scène au début du film, en apparence anodine cache peut-être la clé du film et le discours porté sur le racisme. Après être arrivé en ville, Adam Cramer se rend dans un hôtel. Chaleureusement accueilli par la propriétaire de l’établissement (la fameuse Southern Hospitality), celle-ci, dans une discussion des plus banales, hasarde une plaisanterie ouvertement raciste créant une forme de complicité avec Cramer (Serait-ce à ce moment précis que celui-ci décide de commettre les actions qui suivront ?).
L’horreur du racisme est précisément là, dans son aspect le plus banal, trivial, complétement entré dans les mœurs de ces Etats du Sud, presque immuables.