Bienvenue, chers spectateurs de l'absurdité, sur les terres gelées de Youri Bykov, où la justice est une vieille dame rouillée qui a perdu ses lunettes, et l'humanité... un concept aussi vague que les promesses électorales.
The Major (2013), alias Майор pour les puristes qui aiment se geler les prononciations, est de ces films qui vous rappellent que la Russie n'est pas qu'une carte postale de dômes colorés, mais aussi un terreau fertile pour le nihilisme le plus jouissif.
- L'Accident Banal et le Choix Cornélien (pour les Paresseux)
Le Major Sobolev, notre héros du jour, se précipite à la maternité pour la joie de la paternité. Et là, patatras ! Il écrase un enfant. On pourrait y voir un simple accident, mais non. Bykov, avec une malveillance délicieuse, nous offre un pitch digne d'une blague carabinée : un flic qui va donner la vie en prend une.
« Ah, le bon vieux dilemme ! » s'exclamerait un Sartre revenu d'entre les morts, si on lui avait promis un bon café chaud au Flore en échange. Mais ici, point de véritable angoisse existentielle. Le Major, en bon petit fonctionnaire, choisit l'option la plus pragmatique : l'étouffement. On s'étonne qu'il n'ait pas opté pour l'assurance « Police-Omerta » qui doit couvrir ce genre de dégât.
Notre Major est-il un homme libre qui assume son choix ? Pas du tout. Il est juste lâche au départ, et rapidement dépassé par la machine qu'il a lui-même lancée. Une belle illustration de l'aliénation, certes, mais dans une version Do-It-Yourself : il est l'ouvrier de sa propre chute.
- Quand la République se Fait Léviathan (en Manteau d'Hiver)
Le film se mue rapidement en une danse macabre où toute la hiérarchie policière s'unit dans un élan de solidarité criminelle. On pourrait croire à une critique acerbe de la corruption institutionnelle. Mais Bykov va plus loin, avec un sens de l'ironie qui ferait pâlir d'envie un Voltaire blasé : il nous montre un système où le Mal n'est pas le fruit d'une perversité individuelle, mais la logique implacable d'une organisation dont le summum bonum est sa propre survie.
Thomas Hobbes aurait adoré ce film ! Son Léviathan n'est plus seulement une entité étatique qui garantit la paix par la peur, c'est ici un monstre de bureaucratie et de népotisme qui dévore ses propres enfants pour ne pas perdre un papier égaré. La force publique, censée être le rempart contre la "guerre de tous contre tous", devient l'instrument le plus efficace pour l'instaurer. Un paradoxe qui réjouirait n'importe quel anarchiste amateur de vodka.
- La Rédemption : Une Idée Cartésienne Inadaptée au Climat Slave
Évidemment, après avoir creusé son trou jusqu'au centre de la Terre, le Major a un sursaut de "conscience". Il veut se racheter. C'est le moment moralisateur que l'on attend. Mais Bykov se moque de nous (et de lui). Ce désir de justice est si tardif et si maladroit qu'il ne fait qu'aggraver la situation, transformant un crime isolé en une fusillade généralisée.
Ce pauvre Sobolev a confondu le "Je pense, donc je suis" de Descartes avec un "Je panique, donc je suis foutu" !
Sa tentative de rédemption n'est pas un acte de courage moral, mais le dernier spasme d'un homme qui réalise qu'il n'a ni l'étoffe du méchant intégral, ni celle du héros tragique. Il est juste un maillon faible dans une chaîne de pourriture. The Major est donc un conte philosophique où l'on apprend que l'homme ne naît pas foncièrement bon ou mauvais ; il est surtout extrêmement influençable et que, lorsqu'il est pris dans la nasse de la Realpolitik de voisinage, le mieux est de ne jamais avoir d'accident.
En somme, ce film est une douche froide nécessaire. Si vous aimez les happy-ends et les héros vertueux, passez votre chemin. Si, par contre, vous appréciez les drames qui démontrent avec brio que l'Enfer, c'est les autres (surtout quand ils sont flics et vos collègues), alors The Major est votre nouveau meilleur ami nihiliste.