Ou la surprenante vertu de la vengeance

Au regard du succès de son creux et clinquant Birdman, Iñárritu a dû se dire que sa méthode avait du bon et qu'il aurait sans doute tort de ne pas la poursuivre. Surtout que celle-ci repose sur un principe d'une simplicité enfantine : reprendre les bases d'un genre populaire et lui injecter les réflexions d'un film "intello". Ainsi, après avoir tenté de faire un film de super-héros qui se permet d'être critique envers l'univers du show-biz, il réalise un survival qui se double d'une pensée mystico-philosophique. Est-ce plus risqué pour autant ? Je ne sais pas, en tout cas sa soif de reconnaissance, elle, est toujours intacte, car The Revenant penche beaucoup plus du côté du film à Oscar que du film d'auteur. Pour s'en convaincre, il suffit de voir la com', éminemment racoleuse, qui nous rabâche inlassablement les conditions extrêmes du tournage ainsi que l'effort surhumain réalisé par Leonardo DiCaprio qui s'est baigné dans une eau glacée et qui a mangé de la viande crue... bon OK, il ne s'est pas frotté à Daech mais son comportement exemplaire mérite bien une petite statuette quand même ! (Comment ça, il a juste fait un boulot pour lequel il est grassement payé ! Un peu de cœur voyons !). Et puis, sur le fond, le film n'a rien de bien subversif : la critique envers les Etats-Unis est dérisoire et, bien gentiment d'ailleurs, le mauvais rôle est confié aux francophones ! Ce sont eux les barbares, ce sont eux qui tuent et violent. Alors bien sûr, il y a le personnage incarné par Hardy, mais il ne pèse pas bien lourd dans la balance. Comme avec Birdman, Iñárritu se contente de prendre une pose, celle du réalisateur impertinent, pour finalement caresser Hollywood et le marché ricain dans le sens du poil. Normal, Business is business !

Malgré tout, je ne vais pas faire la fine bouche, The Revenant n'en demeure pas moins une œuvre d'une belle intensité, cruelle et envoûtante. Mettant enfin sa mise en scène au service de son histoire, Iñárritu nous délivre une partition visuelle des plus prenantes, dans laquelle splendeur et cruauté sont indissociablement liées. C'est à mon humble avis son principal mérite : parvenir avec force à nous immerger au sein de cette nature majestueuse, tout en rendant grâce à sa dimension sauvage...

Dès les premières images, l'immersion est totale : nous sommes dans son antre, sur son territoire, au cœur d'un univers où les lois et les valeurs humaines n'ont plus cours. Ici, il n'y a pas de morale, de bons sentiments ou de bonnes intentions, la nature est ce qu'elle est, dangereuse et indomptable ! « Là, l'éternité, dans son immense et insaisissable sagesse, se moquait de la vie et de ses vains efforts. » nous écrivait avec justesse Jack London, des mots qui prennent tout leur sens à la vue de ces images : ces immenses paysages rocheux, enneigés, qui ne tolèrent le passage que de cours d'eau, aux reflets bleutés et argentés, nous impressionnent autant qu'ils nous glacent le sang. Plaines désertes dominées par les vents, forêts denses plongées dans les ténèbres, tout renvoie à l'idée qu'il faut se battre pour survivre.

Car même si elle se pare de son plus beau visage, la mort est omniprésente et peut frapper à tout instant. Mais au fond cette violence primaire n'est guère différente de celle qui anime l'homme : un grizzli montre ses griffes pour protéger sa progéniture, tout comme les Indiens sortent leurs arcs pour défendre leur territoire. Le grand mérite d'Iñárritu est de donner tout son sens à la question de la survie, tout en évitant de sublimer la violence. Une réussite qu'il doit beaucoup au travail de Lubezki : l'ancien chef op de Malick fait des miracles et parvient à faire le mixte improbable entre l'univers du Nouveau Monde et le réalisme cru d'un Aguirre, transformant The Revenant en expérience sensitive.

De la même manière, sans fioritures et sans dramatisation excessive, le cinéaste mexicain parvient à tirer le meilleur d'un scénario aussi classique que ténu. Ornant quelque peu son film des atouts du western, il a le bon goût de concentrer son récit sur sa dimension survival. Du moins dans une première partie, qui est de loin la meilleure. Les esprits chagrins en fustigeront l'extrême banalité, mais personnellement, si la qualité est au rendez-vous, cela me convient très bien.

Le début est d'ailleurs très prometteur et nous délivre une série de séquences d'une grande maestria. L'attaque des trappeurs par les Indiens est d'un lyrisme particulièrement prenant, la fluidité de la mise en scène et les mouvements à 360° renforcent le sentiment d'immersion et impressionnent durablement. Le passage avec dame nature (incarnée par un ours mal léché) qui donne la leçon à notre cher Leonardo, atteint également un degré de réalisme assez sidérant. Bien sûr, en ce qui concerne le réalisme, il ne faudra pas être trop regardant par la suite sur l'incroyable capacité de notre bonhomme à se remettre de ses nombreuses blessures...

Malheureusement, la suite baisse en intensité car Iñárritu retombe dans ses travers : il étire inutilement ses scènes, en insistant sur les épreuves endurées par Glass ou en recherchant systématique le beau plan ; et surtout il va lourdement plomber son récit en voulant lui donner une dimension philosophique. Il s'empêtre avec des séquences oniriques d'une lourdeur digne d'un Malick (les retrouvailles avec le fils sont particulièrement pitoyables), tout comme il se montre assez maladroit avec un symbolisme un peu facile destiné à évoquer l'idée de renaissance (il faut bien justifier le titre).

Malgré ces défauts, décidément tenaces chez Iñárritu, c'est une impression globalement positive qui prédomine à la sortie du film. Car si The Revenant pêche dans sa partie philosophique, sa composante survival prédomine largement ! Comme je l'ai mentionné précédemment la grande force du film tient dans son épure : sans chercher à romancer outrageusement le périple de Glass, celui-ci nous apparaît irrésistiblement fascinant et troublant. Pourquoi cet homme tient-il encore debout malgré ce qu'il a enduré. ? Et bien tout simplement parce qu’il est animé par le sentiment de la vengeance. Ce n'est sans doute pas une motivation belle et noble, mais son caractère implacable se fond à merveille avec le cadre naturel et sa légitimité fait écho à celle de ces Indiens qui se rebellent contre l'envahisseur. Alors même si The Revenant n'a pas la profondeur d'un Dersou Ouzala ou d'un Jeremiah Johnson, il n'en demeure pas moins une œuvre redoutablement viscérale, âpre et captivante ; un peu comme ces vastes territoires enneigés qui s'étendent à perte de vue ou l'ultime regard caméra de Leonardo, glaçant d'effroi.

Créée

le 4 août 2023

Critique lue 7 fois

Procol Harum

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