Oscar amplement mérité D'Innaritu (beaucoup plus que l'année dernière) pour sa mise en scène virtuose qui nous fait voyager dans les confins du Grand Nord Américain: l'ouverture est une leçon de cadrage et de découpage de l'espace et les séquences oniriques éclairées en lumière naturelle jouent merveilleusement bien de la temporalité de la journée. La brutalité sèche est souvent justifiée par son contexte et ne s'astreint pas à une surenchère voyeuriste, exceptée une attaque d'ours un peu trop surréaliste et étirée en longueur ainsi qu'une fin presque racoleuse. Sinon quel spectacle grandiose que ce récit de survie et de vengeance qui emprunte autant au western traditionnel pour ses paysages, ses poursuites endiablées et ses gueules cassées qu'au poème métaphysique à la Malick pour ses envolées lyriques (la aussi récompense ultra méritée pour Lubezki à la photo qui effectue un travail de dingue pour rendre aussi bien une telle atmosphère, il à d'ailleurs travaillé avec l'américain).


Une vraie recherche de transcendance dans le récit qui permet aux personnages d'incarner des enjeux plus complexes qu'un simple désir de destruction carnassière et qui donne une épaisseur à chacun, car les seconds rôles ne sont pour une fois pas laissés en arrière-plan comme c'est souvent le cas lorsqu'une méga star écrase le casting. Léo est surement too much pendant le premiers tiers, tant sa carapace semble indestructible et son visage défiguré crie aux yeux du monde "i want this fucking oscar this year". Mais sa capacité à sortir de l'ornière ultra physique pour se muer en quasi fantôme errant dans les plaines enneigées lui pardonne tout. Tom Hardy est plus qu'un simple accompagnateur, on peut penser que sans lui le premier cité n'aurait pas ce degrés d'excellence. On sent que les deux se défient mutuellement et que cela les poussent à vouloir se surpasser. La carrure de Mad Max est toujours aussi impressionnante et son timbre de voix si particulier lui donne un aspect de figure ambiguë, mi ange-mi démon. Les autres acteurs tiennent également la dragée haute et donnent une vision d'ensemble assez précise de ce que devait être la vie des trappeurs de l'époque, avec une organisation méticuleuse ou chacun doit tenir son rang pour permettre à l'équipe d'avancer. Enfin les Indiens ne sont pas justes des visions fantasmées de barbares sans identités, leurs agissements trouvent un écho dans l'acculturation et la déshumanisation qu'ils subissent de la part de cowboys avides de surpuissance. Ils n'en sont pas pour autant édulcorés et la violence qui émane d'eux répond à la bestialité des assaillants.


L'argument marketing souvent utilisé "tiré d'une histoire vraie" n'offre aucune garantie de réalisme à l'écran et cache la plupart du temps une faiblesse d'écriture qui vide l'entreprise d'un quelconque sens. On en retrouve ici aussi quelques aspects qui font craindre un trop plein de non sens et un héroïsme "bigger than life" trop respectueux des étapes obligées de ce type de parcours. Le surhomme échappe miraculeusement à toutes les attaques possibles et réussit par on ne sait quel saint à recouvrir ses capacités motrices, devient chasseur et mange ce qui lui passe par la main pour in fine atteindre son but initial. Il se terre dans les endroits les plus improbables tel un ermite surdoué. Cela frôlerait la caricature si l'on ne décelait pas dans cet échappatoire une sorte de figure mystique qui accomplirait son devoir auprès d'une présence divinatoire. Présence que l'on ne cesse d'entrapercevoir dans les rêves hallucinatoires du survivant, mais dont on doute sans cesse tant sa santé mentale est évanescente. Il n'est pas sur que son désir de vengeance en assure l'accomplissement, la fin ambiguë laissant présager d'un sacerdoce blasphématoire punissant le coupable de tels actes. La grosse claque de ce début d'année!

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le 2 mars 2016

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