Après avoir fait sensation, l'an dernier, avec l'imprévisible mais artistiquement accompli Birdman, Alejandro González Iñárritu est bien décidé à asséner une nouvelle grande leçon de cinéma à travers The Revenant. Prenant toute la richesse esthétique et ambiancée qui rythmait Birdman, le réalisateur mexicain la décuple ici en une ode spirituelle de l'âme humaine vengeresse, dans un western mystique aux confins du monde.


D'expérience cinématographique, il est clairement question. C'en devient même une expérience sensorielle tant l’œuvre parvient à happer le spectateur au cœur de ses paysages sauvages enneigés et à en lui faire ressentir leur rudesse. Cela grâce à une mise en scène exceptionnelle où Iñárritu enchaîne les plans séquence, et confère une grâce rare à sa caméra qui suit alors l'épopée de résurrection de son protagoniste avec une intimité troublante. Cette proximité n'en est que plus exacerbée par la photographie somptueuse d'Emmanuel Lubezki, entièrement en lumière naturelle, qui ne fait que magnifier et rendre plus inéluctable chacun des plans du long-métrage. Avec de nombreuses séquences spirituelles, contemplatives sur la nature (les plans larges sont à tomber), ponctuées de voix off mystiques, il n'est pas anodin de penser au cinéma de Tarkovsky, ou encore celui de Malick - brillants architectes du genre qu'Iñárritu tente ici d'égaler, sans toutefois éviter quelques faux pas. Effectivement, malgré la beauté brute et sensible du film, il n'est pas exempt de quelques longueurs - en 2h30 - notamment lors du cheminement continu de Hugh Glass (DiCaprio) pour assouvir sa vengeance, accompagné de métaphores visuelles qui n'ont pas toujours l'impact escompté.


Par contre, le design sonore pallie amplement à ces quelques faiblesses en créant une expérience totalement immersive de par la bande-son splendide Ryuichi Sakamoto et Alva Noto, et leur thème récurrent à la fois empli de grâce via les cordes frottés, mais tout aussi menaçant de par la présence de la basse. C'est une présence musicale d'abord discrète, puis de plus en plus intense, à mesure que Glass, laissé pour mort, s'accroche à regagner les bribes de vie qui le conduiront à assouvir son dessein rancunier. Par ailleurs, comme pour Birdman, l'expérimentation sur les bruitages ambiants confère une atmosphère unique au long-métrage, jouant sur la spatialisation, leur amplification ou bien les transportant entre différentes scènes. C'est toute une harmonie sonore subjuguante qui est façonnée et confronte le spectateur au voyage spirituel que brave Hugh Glass, dans l'abnégation de ce que son enveloppe corporelle endure.


Car il en subit des séquences bestiales et de violence inouïe - amplifiée par le ton désolé de la mise en scène - dont cette fameuse attaque de grizzli à l'origine de son état. Et bien que les conditions de tournages ont été infernales, parmi les plus difficiles que DiCaprio a vécues, sa prestation dans The Revenant n'est pas pour autant le magnum opus de sa carrière. L'acteur est pourtant exceptionnel, mutique une grande partie du film et devant donc livrer son jeu par ses expressions faciales ou sa gestuelle ; on l'a rarement vu aussi dévasté. Il manque toutefois un petit quelque chose derrière les grognements perpétuels pour vraiment transcender son jeu. En comparaison, la présence plus minime de Tom Hardy est toute aussi marquante tant l'acteur habite son rôle d'antagoniste impitoyable. Le reste du casting compose également admirablement dans ce western artistique, où se chamboule une multitude d'émotions. Œuvre assurément maîtresse dans la carrière d'Iñárritu, The Revenant est un film intense et viscéral, mais aussi propice à l'introspection, où la poésie de la nature n'a d'écho que sa violence, et celle de l'homme qui la parcourt.

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le 25 févr. 2016

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AntoineRA

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