L’Amérique. Cette Terre, enneigée, recouverte d’une couleur virginale, cache aux yeux du monde, cette boue ensanglantée qui jonche le sol jusqu’à la racine. La Naissance de cette Nation, le choc des cultures, le clivage de la diversité, l’instinct primaire de la nature de l’homme, la justice divine ou administrative, qui se sont engendrés par la sauvagerie d’un pan de l’humanité, sont des sujets en vogue ces temps-ci, que cela soit par le biais des 8 salopards, et donc, aussi, de The Revenant. Dans cette concomitance, les deux longs métrages prennent la tangente du western, mais c’est dans la composante graphique que la différence s’opère. D’un côté, Quentin Tarantino décide d’enfermer tout son petit monde dans un huit clos poisseux, à la crasse hilarante et de l’autre, Inarritu décide de prendre ses distances avec le cloisonnement des coulisses théâtrales de Birdman en s’entourant d’une horde de trappeurs tiraillés entre leurs valeurs et l’argent, pour se rapprocher du vent de l’aventure et du grand air presque exclusivement en décor extérieur et en lumière naturelle, dans des paysages forestiers et montagneux qui vont être témoins de la renaissance d’un homme, passé pour mort, voulant venger la mort de son fils.


Et c’est là, que The Revenant va tisser toute sa trame. Son réalisateur, Inarritu, se sert de sa caméra pour suivre au plus près, ses protagonistes, notamment Di Caprio et Tom Hardy, tout en longeant cette nature foisonnante par le biais d’une mise en scène, grandiloquente, aussi terrassante qu’harassante, avec ses plans séquences qui ne s’arrêtent jamais, où la notion de simplicité de trait s’avère presque inexistante. Cette caméra, en devient presque un personnage, omniprésent et omniscient, comme si une conscience venait hanter cette forêt. Si Lubezki fait de nouveaux un travail incroyable, au niveau de la photographie, avec cette vue en grand angle et cette luminosité éblouissante, c’est donc la mise en scène d’Inarritu qui est au centre des débats : la technicité au service du sensoriel ?


Et dans cette confrontation-là, Inarritu se révèle brillant face au pragmatisme ruisselant de son long métrage, qui se montre parfois terre à terre dans sa réflexion, caressant avec fracas les douces fragrances d’une violence qui tache de son sang rouge vif, proche d’un Vorace d’Antonia Bird, et qui s’aligne parfaitement avec le genre du survival, dans cette course rampante vers la vengeance. A défaut d’y voir un grand film ésotérique ou métaphysique, qu’il n’est pas, et qu’il ne veut sans doute pas être, malgré sa symbolique sur la naissance et la vie, Inarritu ne glorifie pas la nature comme peut le faire un humanisme tel que Malick dans Le Nouveau Monde, il ne la contemple pas, et ne l’érige qu’en simple environnement (sublime séquence face au troupeau de bison), aussi sacré que profané, donnant la vie et la mort, comme l’avait fait Joe Carnahan avec Le territoire des loups. Cette Terre, qui par le froid, les hauteurs, les blizzards, le bestiaire vous tue un homme, et permet aussi, par le biais d’un feu, de chair, de moelle, de la carcasse chevaline, de redonner naissance à une entité.


Comme si la nature avait le droit de vie ou de mort, sur sa genèse humaine. S’inscrit dans cette volonté, une scène fœtale, presque embryonnaire, où l’homme ne fait plus qu’un avec l’animal, où l’homme ne fait plus qu’un avec la nature, au symbolisme un peu trop marqué, mais qui fonctionne extrêmement bien sur la nature même de l’homme et sa proximité avec sa nature sauvage, qui rappelle la finalité d’un film comme celui de Gravity. D’ailleurs Gravity et The Revenant accumulent les similitudes tant dans les qualités que dans les défauts : le récit initiatique minimaliste après la mort d’un proche, la solitude dans le vide terrestre ou spatial, trajectoire monolithique du personnage, la volonté de vivre. Sans parler de l’aspect visuel.


Mais les conséquences ne sont pas infimes, car derrière cette méticulosité esthétique, ce penchant pour la virtuosité, la performance et l’excentricité technique, à l’image de ces 20 premières minutes viscérales et cette bataille sanguinaire avec les Indiens, ou cette attaque d’ours ; Inarritu, trébuche par moments, se tire une balle dans le pied, en voulant, devenir lui-même acteur de son cinéma. Il se montre à l’écran, sa caméra en devient non plus, une projection ou un lien entre nous et le film, mais en devient un obstacle à l’immersion, donnant l’impression de ne pas voir un film, mais de voir quelqu’un qui filme une scène, comme si Inarritu était trop fier de nous montrer sa magie, comme s’il ne pouvait pas se substituer à sa propre création. Cependant, pour entretenir cette magie, il faut un mystère. Et The Revenant manque parfois de mystère, et qui fait que le film ne décolle pas souvent dans son côté sensoriel, mystique et qui fait que les scènes de flashbacks avec son fils ou sa femme (qui n’ont pas la force de celles de Shutter Island par exemple, par référence à la filmographie de Di Caprio) perdent en impact émotionnel et réflexif malgré leur beauté plastique indéniable.


Mais de cette mise en scène compacte, aussi opaque que lourde, bien crampée sur terre, et qui peine à se ventiler, The Revenant n’en est pas moins un tour de force, qui ne perd pas en rythme tout au long du calvaire du personnage de Hugh Glass pour renaitre de ses cendres, accentué par un montage qui se révèle souvent intelligent dans son architecture, en combinant parfaitement plans fixes majestueux et vue en grand angle sur les visages des protagonistes. Derrière cette prouesse technique, et parfois engoncé dans ses propres structures référentielles (Tarkovski), Inarritu arrive néanmoins à écrire sa propre mythologie macabre dans ce qui se révèle être le jumeau maléfique du Nouveau Monde de Malick, et se caractérise de scènes fortes qui restent en tête (ce duel final, ces cris hors champs qui transpercent la mort), en éclaircissant son propos à la plus infime notion d’instincts primaires, tout en dessinant avec intérêt et folie le visage ambiguë de la plupart de ses protagonistes, qu’il soient Indiens ou Trappeurs (« Tous des sauvages »), surtout à travers le regard morcelé de la star du film, qui n’est pas Di Caprio (néanmoins très bon), mais bien évidemment cet animal, ce loup, ce sauvage qu’est Tom Hardy.

Velvetman
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le 27 févr. 2016

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