Le saloon de Chloé Zhao se confirme, juste après avoir signée le drame social « Les chansons que mes frères m'ont apprises ». En continuant d’explorer le voisinage de la réserve indienne, elle finit par déterrer le visage abîmé d’une nation, dans un déclin et dans une errance permanente. Loin d’une ombre hollywoodienne, ce fragment de vie nous est servi avec une justesse des plus admirable, en invoquant la vulnérabilité comme une source de renaissance. À la frontière de la fiction, voire du documentaire, il est possible d’y palper un brin d’air frais et authentique qui traverse ces plaines du Dakota du Sud. Nos repères se bousculent jusqu’à ce que la fatalité du récit rattrape des personnages, qui symbolisent bien plus dans l’iconographie des oubliés et des invisibles de la condition humaine.


Au détour d’un traumatisme, qui blesse l’orgueil d’un dresseur de chevaux, la caméra flirte avec l’intimité d’un Brady Jandreau, physiquement épuisé. Mais que dompte-t-il réellement dans son quotidien et en quoi, le cadre de la réalisatrice ne capte pas toujours les gestes attendus de sa part ? C’est une symphonie, une ode à une reconnexion spirituelle entre l’homme et l’animal, l’homme et la nature et enfin l’homme et sa culture. Il serait vain de se poser là, passivement face à la détresse de cet homme, qui ne sait pas où affirmer son identité après son accident. Si ce n’est pas sur selle, c’est peut-être sur scène qu’il trouvera la faveur d’un simple regard, celui qu’il partagera avec tout un public impliqué dans sa réparation et son envie de cristalliser son ultime rodéo. Lui-même reste une entité indomptable et l’angle d’approche à son égard nous laisser perplexe et nous laisse surtout suffisamment de temps afin d’apprivoiser ce qu’il reste de son âme et de son environnement.


Ce n’est pas au crochet d’une nécessité qu’il avance, et pourtant, nous en sommes à relativiser un mode de vie obsessionnel, où il s’agirait d’enfin d’explorer de nouveaux horizons, mais non. Zhao nous guidera dans un cercle vicieux, où la remarquable aura de ses protagonistes gagnera nos cœurs et panseront les leurs. Si le décor se décline dans une forme d’éternité, il existe encore des personnes qui se battent contre les contraintes et les restrictions qui leur sont imposées. De l’emploi temporaire dans un supermarché à la cohésion d’un groupe d’amis, au bord de l’implosion, la richesse communautaire des lieux ne laisse qu’assez d’espoir pour la grignoter, à défaut de s’en inspirer. Pourtant, ce ne sont pas les plans crépusculaires ou autres sensations plus frénétiques qui manquent. Ce que l’histoire ne nous dit pas, elle nous la raconte avec une grâce bouleversante et sensiblement douloureuse. Ce que l’on parvient à extirper de cette balade, c’est bien entendu une vérité, combinée à une incertitude qui s’efface au contact du dressage et donc d’un apprentissage fusionnel, qui ne quitte jamais le visage d’un Brady, toujours aussi lumineux.


Sans négliger la modernité de ses propos, « The Rider » s’élance avec la fougue qu’on lui associe, dès lors que l’on s’ouvre au mythe du western et de son héritage. En y injectant de la nuance et des ramifications autour de la masculinité du cowboy américain, le résultat est brut et renouvelle une discipline que l’on néglige à tort. Les interactions humaines sont ainsi présentes afin de catalyser la tendresse d’une narration qui prend aussi bien le temps de proposer une évasion mentale et sensorielle auprès de Lane Scott, également victime de la fatalité du rodéo, mais ne repousse pas inutilement la vivacité et la vitalité de Lilly Jandreau. Il y a toute une formule thérapeutique dans cette œuvre, mais ce qui doit être capté ne doit pas être oublié pour autant. La réalisatrice tient donc la promesse de ne pas blesser davantage la dignité de ces marginaux, qui tiennent les rênes de leur propre destin et qui évoluent dans la pertinence de leur existence.

Cinememories
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le 6 mars 2021

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