Porté par le succès critique de son premier opus Animal Kingdom, David Michôd passe ici à la vitesse supérieure, comme en témoigne sa sélection cannoise.
Deux ambitions se conjuguent ici : l’aspect visionnaire d’un film d’anticipation serti dans une œuvre qui ne cessera d’affirmer sa patte d’auteur.
Soit une Australie « 10 ans après la chute », dont on ne nous dira rien, puisque tel est le parti pris : de ce monde, ce qu’il reste est le manque et le deuil sonné de ce qui n’existe plus. Plus de nom, plus d’idéal, plus de quête. Impossible de ne pas penser à La Route, qu’on exploiterait ici dans son versant désertique.
Le minimalisme contamine absolument tout : les scènes sont souvent muettes, la couleur déserte un monde à la lumière blafarde, et les enjeux dramatiques sont (un peu trop) systématiquement désactivés. Un dialogue avec une grand-mère révèle l’ineptie de l’émotion en ces temps d’apocalypse sourde. On peut certes ponctuer une transaction par une giclée de cervelle sur les murs, les morts eux-mêmes se joignent au concert du silence : ils tombent sans bruit, et l’on passe à autre chose.
Une route, des bicoques sans âme, des visages déformés par la misère et le pessimisme, des fusils qu’on brandit : il s’agit d’avancer, pour fuir la mort et foncer vers elle.
La maitrise est indéniable, et Michôd livre une partition sur laquelle rien n’a été laissé au hasard. Clair-obscur des intérieurs, visages isolés dans la nuit, lenteur des mouvements de caméra, gestion d’un rythme déconcertant d’inactivité, rien n’échappe à son contrôle.
Soucieux de ne pas retomber dans la norme, il prend le contrepied des attentes du spectateur : on attend l’évocation du passé du personnage principal, de même qu’une évolution dans l’étrange duo qu’il forme avec son pseudo otage (Pattinson entre contre-emploi par rapport à ses personnages glaciaux chez Cronenberg, mais à la limite du cabotinage). Si l’on en parle, c’est pour mieux en révéler les béances et la vacuité.
Car le véritable propos du film est bien l’absurde, et ce soleil écrasant n’est pas sans évoquer celui de l’Etranger de Camus. Ce qui pèse, c’est l’absence de châtiment, et la facilité avec laquelle on tue dans un monde où la milice elle-même ne comprend pas sa mission. De fait, l’intrigue se voit gangrénée par cette lèpre qui va désactiver ses enjeux. La véritable quête hébétée du protagoniste révélée par la dernière image enfonce le clou d’un pessimisme ravagé.
Maitrise, profondeur du propos, radicalité : tout semble fonctionner pour nous imposer un grand film.
Le problème, est bien là : on nous l’impose. La musique est en cela révélatrice : grinçante, lancinante, angoissante, elle surligne un projet étouffant par ses intentions, et qui finit par anesthésier son spectateur en même temps que ses personnages. Courageux dans sa volonté de se démarquer, Michôd pèche par excès de zèle.
En reste une grande promesse quant à la suite de sa filmographie.
Sergent_Pepper
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le 3 nov. 2014

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Sergent_Pepper

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