Premier long-métrage de Lim Tae-Gue, « The seeds of violence » décontenance au premier abord, tant sa mise en scène est austère. Les scènes d'ouverture nous font découvrir un groupe de militaire de l'armée sud-coréenne sans qu'on ne sache rien d'eux. Malgré le mutisme et le manque d'expressivité des personnages, la violence symbolique puis physique qui sous-tend les rapports de hiérarchies se dévoilent progressivement, sans la volonté de choquer ou de montrer cliniquement une réalité sociale à la manière d'un documentaire de Wiseman. Pourtant, la comparaison pourrait paraître pertinente, tant la mise en scène s'efforce de cadrer au plus près des personnages, immergeant le spectateur au cœur de l'institution militaire. Mais Lim Tea-Gue ne recherche pas une retranscription du réel, plutôt celle de la perception de Joo-young, caporal-chef enclavé entre un supérieur menaçant et une vie de famille aussi traversée par la violence : sa sœur se fait battre par son beau-frère. Chacun de ses gestes paraissent anodins, mais traduisent un mal-être résigné, une impuissance qui tend à la névrose. On pensera donc plutôt à « Elephant », à cause de cette volonté de suggérer les problèmes par des détails muets que captent la caméra avec quelques plans-séquence, toutefois moins longs et ambitieux que ceux de Gus Van Sant.


On ne peut donc pas faire le procès au film d'un manque de caractérisation des personnages, tant ces non-dits expriment justement la violence sourde et intériorisée qui prend ses racines dans la phallocratie militaire puis se diffuse dans le contexte familial. C'est plutôt la systématisation des enjeux narratifs qui essouffle la démonstration, laissant le spectateur un peu suffoquant. La sensation est paradoxale, puisque l'essentiel du film se déroule en dehors de la caserne, durant une journée de permission. Là est l'astuce du cinéaste : donner une certaine liberté de mouvement au duo de militaire pour mieux induire leur enfermement moral. Toujours sollicités au téléphone par leurs supérieurs, préoccupés par l'oubli d'un képi sur un siège de bus, ils n'échappent jamais à la violence de leur condition. Même lorsque Joo-young tente de raisonner sa sœur, il ne peut que s'exprimer par la violence. Celle-ci contamine tout : difficile donc de la montrer sans quelques redondances. L'essentiel est que « The Seeds of violence » échappe à tout misérabilisme en jouant beaucoup avec le flou et le hors-champ comme avait pu le faire « Le Fils de Saul » en traitant de la Shoah. Si là encore le dispositif formel est moins virtuose, il n'en a pas moins le mérite de rester cohérent et fidèle à ses intentions par des cadrages en gros plan caméra à l'épaule qui signifient le malaise social des personnages. Il se distingue finalement des deux références citées par son usage de la symbolique. Alors que le titre du film choisit la métaphore pour induire une culture de la violence à l’œuvre en Corée du Sud, le cinéaste n'oublie pas de rappeler à quel point cette culture est stérile par une autre image, celle d'une dent cassée qu'il est bien vain de vouloir recoller.

Créée

le 29 oct. 2017

Critique lue 244 fois

2 j'aime

4 commentaires

Marius Jouanny

Écrit par

Critique lue 244 fois

2
4

D'autres avis sur The Seeds of Violence

The Seeds of Violence
Marius_Jouanny
7

Violence sourde, germes éclatés

Premier long-métrage de Lim Tae-Gue, « The seeds of violence » décontenance au premier abord, tant sa mise en scène est austère. Les scènes d'ouverture nous font découvrir un groupe de...

le 29 oct. 2017

2 j'aime

4

The Seeds of Violence
Khidarion
7

Sévice militaire

Voici un film âpre et rude, le premier que je vois au FFCP où il n'y a pas d'humour pour contre-balancer les tensions. C'est filmé en 4/3, au plus près des corps et des visages (quasiment pas de...

le 28 oct. 2017

1 j'aime

The Seeds of Violence
anthonyplu
6

Une frappe qui cible le bon endroit mais rate en partie le coup

Comme son titres l'annonce, Lim Tae-gue ambitionne de radiographier la Corée pour y chercher l'origine d'une violence dans les gênes du pays et dont l'un des racines pour lui réside bien évidement...

le 27 oct. 2017

Du même critique

L'Impasse
Marius_Jouanny
9

Le dernier des Moricains

Il faut le dire, ce jour-là, je n'étais pas au meilleur de ma forme. Allez savoir pourquoi. Mais dès les premières secondes du film, j'en ai vu un qui portait toute la fatigue et l'accablement du...

le 4 août 2015

46 j'aime

12

All Things Must Pass
Marius_Jouanny
9

La sublime diarrhée de George Harrison

1970. Un an après Abbey Road, George Harrison sort ni plus ni moins qu’un triple album de presque deux heures. Un ouragan d’inventivité et de registres musicaux, en grande partie l’aboutissement...

le 22 avr. 2016

43 j'aime

6

Les Proies
Marius_Jouanny
6

Sofia's touch

Difficile de dissocier "Les Proies" de Sofia Coppola du film éponyme dont il est le remake, réalisé par Don Siegel en 1971. Au-delà de constater la supériorité de l'original, ce qui est assez...

le 28 août 2017

37 j'aime

4