En résidence à Paris pendant plusieurs mois, le photographe et cinéaste américain Larry Clark a parallèlement réalisé une série documentaire pour la chaine Arte et un film de fiction coécrit avec le poète et scénariste nantais S.C.R.I.B.E. En traversant l’Atlantique, le réalisateur de Kids n’a rien perdu de sa subversion ni de son attirance pour la jeunesse et les adolescents. Mais le cinéaste septuagénaire a perdu en route pas mal d’illusions et offre dans ce patchwork de mini clips (la musique y est en effet omniprésente) à la frontière du projet conceptuel une vision glauque et désenchantée d’une jeunesse perdue dans les mirages de l’alcool, du sexe et de la drogue, sans paraitre en retirer le moindre plaisir, si ce n’est celui d’une accumulation de billets par le biais de la prostitution.

Là où il pourrait (devrait ?) y avoir de la transgression, de la provocation et du scandale, du dégoût ou de la fascination, comme les deux faces d’une même pièce, il n’y a plus au final qu’ennui et consternation, expressions d’esprits blasés insensibles à une bande de skateurs vides et inconsistants (les jeunes comédiens sont globalement mauvais), révulsés devant leur futur tristement prévisible, incarné en quatre adultes : Larry Clark lui-même d’abord en clochard allongé sur le parvis du Palais de Tokyo au-dessus duquel sautent les ados, ensuite en client fétichiste des pieds ; deux clients et enfin la mère, grotesque et terrifiante, de Math, un des quatre protagonistes suivis par le réalisateur de Bully et son double Toff, qui filme tout et sans arrêt. On voudrait croire au désir vivace et éternel de Larry Clark pour le corps adolescent, le corps encore jeune que les années et les abus ne manqueront pas d’avilir, de rider et de dégrader. Hélas, erreur de casting ou désenchantement ultime et mortifère, ces adolescents n’ont pas le moindre sex-appeal : rien de désirable ni d’attirant dans cette passivité constante, cette impression d’ennui permanent, de détachement de tout. Dans son délire œdipien de mante religieuse à la recherche d’une jeunesse engloutie, la mère de Math a cet éclair de lucidité : On s’emmerde tellement. Elle ne croit pas si bien dire, n’imaginant pas à quel point cela gagne le spectateur nullement ulcéré ou choqué.

Propulsés dans la spirale des réseaux sociaux et de l’immédiateté d’un présent sans lendemain, les adolescents déjà défraichis à la peau blanchâtre et à l’hygiène douteuse anticipent avec une vitesse vertigineuse et effrayante la chute dont ils ont pourtant sous les yeux les vestiges. Grand film dépressif ou baudruche artistique qui trouverait aisément place dans les coursives du musée si proche et si lointain, The Smell of Us relève davantage du testament amer et lucide, d’un adieu définitif à une jeunesse à laquelle les privilèges de la beauté, de la grâce et de l’innocence sont interdits. Les deux échappatoires qui leur sont proposées signent sans conteste l’effondrement et la fin de l’histoire. Des figures de skate, des pilules et des rails de coke, des plans culs à deux ou trois, offerts ou monnayés, des fêtes tristes et destructrices, il ne reste rien. Même plus le magnétisme, largement artificiel et fantasmé ici, d’une jeunesse sacrifiée et dénaturée par ses aînés dans une hypocrisie généralisée.
PatrickBraganti
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le 16 janv. 2015

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