J’ai généralement un peu de mal avec les faux films subversifs qui se la jouent anarchistes de la bonne morale, en accumulant les pieds de nez aux drames classiques au moyen d’effets visuels indomptés qui ne servent qu’une surenchère du vide dont le seul objectif est de repousser sans cesse les limites d’un politiquement correct à réserver à nos grands-parents, ces pauvres effarouchés. Le genre d’objet revendicateur qui invite à se détourner du droit chemin sans jamais vraiment rien proposer d’autre qu’un spectacle déviant un peu vain.


The World of Kanako, c’est ce genre de bobine. Au bout d’un quart d’heure on a bien compris que Tetsuya Nakashima n’est pas un fervent adepte de la cellule familiale aseptisée illustrée à coup de pique-nique au zoo à l’ombre d’un cerisier en fleur. Au bout d’une demi-heure, ses constants efforts pour prouver qu’il n’est pas homme à se laisser dompter par la moralité, son montage épileptique qui accumule les effets visuels tape à l’œil bercés par des jeux de lumière stroboscopiques, sa galerie de gravures de mode pour jeunes japonaises pré-pubères et son côté radoteur de compétition, agacent tout simplement. En lieu et place de cette liberté de ton qu’il promettait dans le premier quart d’heure de son film, il livre une mixture improbable de tous les clichés qui édictent cet espèce de sous genre du teen-movie à sensation, parmi lesquels figurent une imagerie déstructurée mais maîtrisée, des situations toujours plus sensationnalistes ainsi qu’une thématique initiale intéressante qui se répète à l’infini.


A éviter de délivrer une œuvre consensuelle, à contourner sans relâche ce politiquement correct qui le débecte, Tetsuya Nakashima en oublie de donner forme à la subversivité de son propos. Il ne suffit pas de frapper les femmes à chaque séquence, de violer des adolescents sous les flashs de leurs téléphones portables, ni de torturer gamins et adultes en série, pour pouvoir prétendre à cette coolitude recherchée dans chaque séquence. Pourtant, certains partis-pris fonctionnent, à l’image du second degré latent qui s’exprime par moment dans les attitudes du flic accroc à ses sucettes par exemple. Une pointe d’ironie presque burlesque qui n’est malheureusement pas vraiment assumée, Nakashima la remettant avec violence sur le chemin de la réalité la minute d’après, plus extrême que la précédente. Ben oui, on n’est pas chez les bisounours, on te l’a déjà dit 22 fois, mais une 23ème ne fera pas de mal.


Personnellement, The World of Kanako m’agace un peu parce que, sur le papier, c’est un film fait pour moi qui se perd tellement dans une surenchère outrancière, en grande partie motivée par un « t'as vu je fais pas comme les autres pingouins moi, j’suis trop badass » de circonstance, que je finis par tout rejeter, même ce qui est réussi. Et puis, 2h pour si peu de fond, c’est bien trop, la dernière demi-heure est à la limite du supportable. Pire, la citation finale sonne comme un foutage de gueule intégral, avec ses airs de résolution prodigieuse d’une énigme qui n’existe plus depuis une bonne heure.


J’aime les films qui n’empruntent pas les sentiers battus, j’aime les histoires glauques, les scripts tordus, mais j’aime aussi quand c’est assumé de A à Z. En l’occurrence ici, j’ai ressenti The world of Kanako comme un film qui ne trouve jamais sa propre identité parce qu’il se contente d’emprunter à tous les cinémas un peu déviants ce qui fait leur singularité (Tarantino pour les typos chelou ainsi que la bande son atypique, Sion Sono pour la thématique glauque, et bien d’autres…) sans réussir à en maîtriser l’amalgame.

oso
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le 5 juin 2015

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