Voici donc l'objet dadaïste qui nous est proposé par l'équipe du Café de la Gare en 1973 : l'intriguant et méconnu Themroc, réalisé par le non moins méconnu Claude Faraldo. Sorte de croisement entre le Cinéma expérimental et le Cinéma militant Themroc est un véritable manifeste post-soixante-huitard qui se doit d'être resitué dans son contexte pour être apprécié a minima.


Tourné dans une langue volontairement incompréhensible, proche de l'abstraction burlesque, le film se révèle particulièrement intéressant dans sa première demi-heure : on y suit le quotidien d'un prolétaire incarné par Michel Piccoli, maugréant tout en préparant son petit-déjeuner, déambulant dans les couloirs du métro puis s'attelant à la tâche journalière. Cette première partie évoque tout aussi bien le Playtime de Jacques Tati dans son utilisation des bruitages industriels que l'Oeuvre de Franz Kafka pour l'aliénation au travail se dégageant des images. On pense par ailleurs beaucoup au Cochon qui s'en dédit de Jean-Louis le Tacon dans certaines fulgurances, notamment dans les projections mentales du personnage joué par Piccoli se trouvant mêlées aux séquences quotidiennes. L'absence de musique et la photographie granuleuse participent à un certain naturalisme rapprochant Themroc d'une forme documentaire, aspect typique d'un cinéma militant propre à l'époque...


Par la suite le film s'affiche comme un énorme pavé jeté dans la mare du cinéma français, montrant le protagoniste transformant sa cour d'immeuble en véritable champ de bataille révolutionnaire dans lequel se télescoperont parpaings, bombes lacrymogènes et scènes d'ébats sexuels... Il ne fait aucun doute que cette seconde partie s'agit d'une parabole très redondante de Mai 68, plutôt lassante car étirée sur près d'une heure de métrage et surtout très caricaturale. Le manque de nuance des personnages est toutefois rattrapé par la poésie des situations, bien que l'ensemble soit un peu long et trop centré sur l'improvisation. Claude Faraldo possède une certaine science du cadrage nivelant Themroc vers le correct et l'ensemble reste lisible malgré l'étrangeté des dialogues...


On peut au passage s'amuser de voir Romain Bouteille interpréter cinq rôles différents, d'entendre Patrick Dewaere siffloter en cimentant le béton ou de reconnaître Coluche parmi les prolos. Themroc, loin d'être inintéressant, reste tout de même trop lourd dans sa portée politique pour plaire véritablement ; il demeure en revanche un objet unique en son genre plutôt bien fichu, une sorte de film burlesque proche d'un Luc Moullet ou d'un Buster Keaton. Une curiosité.

stebbins
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le 31 août 2015

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