Titane, palme d’or du festival de cannes 2021 est une expérience intense réalisée par Julia Ducourneau, son deuxième grand succès après « Grave » en 2016.

Le scénario remanié à plusieurs reprises est coupé en deux parties comme si deux pans d’existence se rejoignaient, avec une symbolique très forte.
Le film commence par l’accident de voiture d’Alexia alors qu’elle est enfant, et la pose d’un implant en titane dans son crâne qui lui sauve la vie. S’en suit un impressionnant plan séquence se déployant autour d’un show de mauvais gout avec des strip-teaseuse qui semblent faire l’amour à des voitures ultra tunées. Alexia qui a maintenant 30 ans est la gogo danseuse en tête d’affiche, et elle tue un fan trop insistant à la sortie du show.
S’en suit une marche meurtrière nocturne à la limite du burlesque où la protagoniste comme envahie d’une irrépressible pulsion de mort tue grossièrement tous les gens qu’elle croise.
Cette affreuse violence, dont les images et les bruitages sont parfois insoutenables est mise à distance par une forme de trivialité dans les meurtres (on songe au moment où la tueuse se plaint du nombre de personnes présentes dans la maison de son amie qu’elle vient de tuer), mais aussi par la bande originale et particulièrement la musique italienne enjouée « Nessuno Mi puo Giudicare » de Caterina Caselli – qui en même temps veut bien dire « personne ne peut me juger »-.
La violence, le sexe, le feu, tout semble aller au-delà les limites de notre monde, comme si la réalisatrice cherchait à s’imposer et à montrer qu’elle ose.
Et cela fonctionne d’ailleurs très bien. Si cette culture du trash suppose un public averti, elle n’en reste pas moins hyper efficace et audacieuse, envoyant valser toutes les conventions de la bienséance.
La fuite de la meurtrière, recherchée par la police clôt la première partie du film, dont la puissance et l’extrême brutalité rappelle les deux héroïnes de l’ouvrage « Baise moi » de Virginie Despentes.
La recherchée, interprétée par Agathe Rousselle -par ailleurs nommée aux césars- devient Adrien, le fils perdu d’un ancien pompier maintenant commandant. De fait, ce dernier, qui a perdu son fils 10 ans auparavant prend Adrien sous son aile, affirmant l’avoir reconnu.
Ici, on se demande si le commandant interprété par Vincent Lindon est simplement fou ou bien s’il cherche un moyen de rompre son extrême solitude qu’il comble par des piqures de testostérone à outrance. Le travestissement d’Alexia en Adrien, qui suppose le port d’un binder improvisé, la boule à zéro ainsi qu’un nez difforme qu’elle a brisé elle-même contre un lavabo dans une scène d’une violence presque gratuite, lui sauve la vie.
Elle fait alors partie du corps des sapeurs-pompiers, et se fait passer pour aphone. Là encore, l’aspect extrêmement glauque de la situation est mis à distance par les commentaires et railleries des autres pompiers, incapable de sympathiser avec cet Adrien rachitique qui ne semble pas éprouver une once d’affect pour son prétendu père.
Le problème, c’est qu’Adrien est enceinte, et doit donc cacher son ventre avec des bandes le compressant. Une mystérieuse substance épaisse et noirâtre s’écoule de son utérus, qui convoque un imaginaire particulier au film entre symbole et réalité. D’où vient cet enfant ? Et encore, pourquoi est-il cet être hybride à la colonne vertébrale métallique ?
Sa rencontre avec son « père » devient en réalité assez touchante, puisque ce sont deux êtres qu’à priori rien ne lie mais qui sont tous deux rejetés. Alexia parvient à calmer ses pulsions meurtrières et éprouve même de la tendresse pour son père qui se doute évidemment de la réalité cachée derrière Adrien.
En somme, Titane propose une réflexion qui est assez abstraite et symbolique dans une grande puissance de mise en scène.
Titane est un film qui vous prend par les tripes au sens propre comme au sens figuré et qui questionne.
La notion de Trans identité et des rapports au monde est très présente dans le film, avec Vincent bodybuldé, mais encore Alexia qui change d’identité et l’enfant comme symbole d’une métamorphose.
Titane évoque la question de l’identité, du rapport à soi et de la monstruosité.
Enfin la question des liens familiaux est posée, avec ce père de substitution qu’est Vincent Lindon.
Julia Ducourneau est une femme, elle ose, et fait tout ce qu’on lui demande de ne pas faire.


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le 27 févr. 2022

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