Nous retrouvons dans ce film le topos du pacte diabolique comme il en est question depuis Faust de Goethe (1808). Pas de grande surprise dans le scénario : un homme se laisse corrompre par le diable qui lui promet "tous les biens de la terre", s'enrichit en même temps que son cœur se dessèche, il réalise au final son erreur et son âme est sauvée, happy end.
Le début du film regorge d'indices explicites sur la venue du diable : un renard vole des poules, un cochon blessé empêche Jabez de se rendre à la messe... Le contrat se déroule de façon "classique" : Jabez est convaincu par un mensonge, il signe de son sang et une marque reste pour le hanter (ici il s'agit de la date de la fin du contrat gravée sur un arbre). Jabez a 7 ans pour jouir des plaisirs terrestres.
L'originalité du film se situe davantage du côté du personnage de Daniel Webster. Incarnation de l'Amérique, il se présente comme un sage, une sorte de figure paternelle, et un grand orateur. Chose étonnante si l'on considère que l'art de bien parler se situe normalement davantage du côté du diable qui a le pouvoir d'embobiner ses victimes. Daniel Webster est l'incarnation de la liberté de l'homme et de la justice, alors que Jabez n'est qu'une victime passive repentie à la dernière minute (avec l'aide de Webster). Daniel Webster est donc un adversaire de taille pour le diable (appelé "Scratch"). Là où le scénario s'emballe et perd quelque peu de sa crédibilité à mon goût c'est dans le jugement final trop plein de patriotisme américain où notre avocat défend les valeur de l'Amérique opposées aux fourberies diaboliques. J'ai trouvé le message dégoulinant de niaiserie, assez extravagant et quelque peu déplaisant. L'Amérique serait le refuge de l'Homme libre qu'il faudrait défendre contre l'ennemi étranger plein de corruption. La tolérance n'est pas au rendez-vous, ou du moins se situe dans une perspective intra-américaine, en excluant les institutions des autres pays : Webster veut un tribunal américain, et dénonce le diable comme un "étranger" signifiant par là qu'il ne peut avoir les belles valeurs américaines ; le diable fait venir d'outre-tombe des revenants américains ayant vécu dans le vice. Les belles paroles de notre avocat auront cependant raison d'eux et retournerons leur fond patriotique. Etant donné les quelques éléments biographiques du réalisateur William Dieterle, allemand naturalisé américain en 1937, cela peut se comprendre, surtout si l'on souligne que le film a été réalisé en 1941, soit pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Le discours de Webster aborde cependant d'autres points plus intéressants qui concernent l'Homme en général et sa faculté à toujours vouloir s'élever au-dessus de sa condition. Dieterle vise enfin juste. Il rappelle l'Homme à l'humilité, à accepter sa condition (morale classique du pacte diabolique) au lieu de vouloir s'élever comme un Dieu. "L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête." disait Blaise Pascal. La toute fin avec le coup de pied aux fesses du diable et la tarte que le diable a volé à Webster relève d'un humour gras dont on se serait bien passé. Le happy end avec les amis de Jabez à sa table autour de Webster comme Jesus et ses disciples est un peu niais je trouve. Mais le final où le diable cherche dans son carnet pour y trouver sa prochaine victime et finit par pointer du doigt le spectateur est admirable et bien pensé. Le film nous indique que le message s'adresse à tout le monde et remplit ainsi un rôle catharsique.
Ce film n'est certainement pas un chef-d'œuvre, il présente beaucoup de défauts mais il s'avère assez intéressant sans apporter de grandes surprises. A voir si l'on aime les histoires de pactes diaboliques.
King-Jo
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le 2 mai 2011

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King-Jo

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