On ne retiendra pas The Counterfeit Traitor ("Trahison sur commande" en France, à ne pas confondre avec l'excellent film de Martin Ritt sur les Molly Maguires qui avait été traduit Traître sur commande chez nous) pour ses qualités de mise en scène, aucun doute là-dessus : si on s'arrête à cet aspect technique, on ne pourra qu'être déçu par la réalisation très fadasse de George Seaton, ne faisant preuve d'aucune originalité, d'aucun talent, et d'aucune bravoure. Mais cela ne doit pas empêcher de découvrir ce film inspiré des agissements d'un vrai espion américano-suédois, Eric Erickson, dirigeant du secteur pétrolier qui commença sa carrière d'espionnage contraint et forcé, afin de sauver sa réputation salie par des accusations (présentées comme fausses dans le film, pas vraiment irréprochable en matière de véracité historique) de collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. William Holden lui prête ses traits ici et incarnera ce personnage initialement animé par une unique chose, l'accumulation d'argent sur le marché noir du pétrole en temps de guerre en restant totalement étranger aux considérations géopolitiques de son temps, avant de devoir travailler pour les services secrets alliés en effectuant de multiples allers-retours en Allemagne, sous couvert de voyage d'affaire, dans le but de collecter des informations capitales — notamment la localisation de sites de production du Messerschmitt.
Ce film inconnu est surprenant dans l'horreur du monde décrit, mais pas nécessairement l'horreur nazie (qui est bien présente malgré tout, sans être l'argument le plus intéressant) : ce qui en fait tout l'intérêt tient en réalité au parcours semé d'embûches et de compromissions que devra suivre le protagoniste. D'abord, on insiste bien sur la manipulation dont il fait l'objet dans le camp du bien (du chantage direct opéré par le cynique Hugh Griffith afin d'en faire un espion), avant d'observer comment sa nouvelle mission influence son entourage et le contraint à la solitude (il sera obligé d'afficher une fausse haine antisémite qui l'éloignera de sa femme et de ses amis), pour terminer sur une longue série d'objectifs à accomplir en Allemagne (ce qui implique de très nombreux contacts désagréables avec les cadres du parti nazi). Son univers proche est constellé de personnages affreux jusque dans la société civile, collaborateurs en puissance et sbires de la Gestapo, participant à l'élaboration d'une toile de fond glauque à souhait. Et lui, constamment, obligé d'afficher une sympathie pro-nazi de façade pendant plus de deux heures... Quelques figures sont vraiment glaçantes, à l'image de cet enfant appartenant aux jeunesses hitlériennes lobotomisées, un danger parmi beaucoup d'autres dans la gueule du loup.
Seul moment de réconfort dans cet océan de barbarie, sa rencontre avec une agente allemande interprétée par Lilli Palmer dont il tombera amoureux — bon clairement Seaton n'est pas Sirk, et le mélodrame romantique peine à décoller de manière flagrante. Malgré tout ces passages sont plutôt bienvenus, ne serait-ce que par ce qu'il permettront par la suite, le flagrant délit (la Gestapo se cache dans l'ombre d'un confessionnal) et la mise à mort (avec son traumatisme des impacts de balles sur le mur et le sang à laver). Le film vaut le détour également dans sa présentation d'un cadre original et régulièrement non-manichéen, avec la position de neutralité adoptée par la Suède en 1942, ainsi que par quelques apparitions (Klaus Kinski en réfugié juif malade entre autres).
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