J'attendais ce film pour des raisons que je ne connais même pas vraiment. Sans doute simplement dû au fait de retrouver Mel Gibson dans un polar prometteur aux côtés du grand (en taille aussi) Vince Vaughn qu'il avait superbement dirigé dans son brutal Hacksaw Ridge il y'a quelques années.
Pourquoi chercher une explication plus complexe ?


Dragged Across Concrete, en plus d'être un titre beaucoup trop classe, réserve une belle petite claque. Un polar de 2h40 sur l'humanité vidée, perdue.
Je vais oublier des choses, je le sais, il y a tellement à dire tant ce film est riche de détails, vraiment !
Car au-delà des apparences il ne faut pas s'attendre à L'Arme Fatale du vieux, loin de là. Le réalisateur de l'étonnant et sanglant Bone Tomahawk plonge ici dans l'âme humaine. La complexité de vivre, de survivre même. Le point de non-retour, plus de choix possibles, des lois envahissantes, la justice facile, la folie des hommes.
Dragged Across Concrete est une œuvre désabusée, pleine d'ironie, subtile, très subtile. Comme cette redondance des probabilités du personnage de Gibson, qui en plus de donner un background au personnage démontre bien que tout est régi par le hasard et l'ironie de ce hasard.
Ridgeman (Gibson) est suspendu sans solde pour une interpellation un peu trop brutale comme son collègue Lurasetti (Vaughn). L'un a une femme rongée par la sclérose en plaque et a une fille qui se fait harceler, l'autre sort avec une femme qu'il voudrait bien épouser.
Deux gars normaux dont la vie privée n'est ni envahissante pour l'histoire ni dénuée de sincérité. La durée du film peut faire peur, moi, elle m'a réjoui. Le développement est fabuleux, tout comme la mise en scène.


Ainsi les deux flics aux méthodes old school prennent la décision de braquer des braqueurs, récupérer le butin et aller vivre confortablement ailleurs que dans cette ville gangrenée par le crime.
Ils se mettent donc à suivre une bande de braqueurs psychopathes.


S. Craig Zahler qui est un nom que je suivrais désormais avec attention m'a mis la bonne claque esthétique que je n'attendais pas forcément. Proposant une œuvre d'une lenteur réfléchie et consacrée au développement des personnages. Plan fixe sur plan fixe d'une maîtrise renversante car non là pour faire joli.
L'exemple le plus frappant c'est ce moment où dans la voiture de Vaughn, Gibson se livre personnellement, la caméra est donc face à lui tandis que Vaughn est filmé de diagonale.
Quelques scènes plus tard c'est à Vaughn d'être plus intime, dans la voiture de Gibson ce coup-ci. Je vous le donne en mille, Vaughn est cadré de face, exactement le même plan, alors que Gibson est lui shooté de diagonale.
Je ne saurais trop comment appeler ça si ce n'est par le mot "écho". Beaucoup de choses font échos dans cette œuvre, des dialogues aussi, connectant ainsi les "voyous" aux "flics", comme s'ils n'étaient ni plus ni moins que des hommes, sans grades, sans différences.
Chose marquante aussi, non loin de la fin et de ce dernier plan accompagné d'une phrase forte. C'est le noir proposant à sa mère de commander des sushis, elle lui répond qu'elle peut cuisiner maison s'il le souhaite. On bascule chez la femme du personnage de Gibson qui dit à sa fille "je n'ai pas eu la force de cuisiner, j'ai commandé chinois".
Ce genre de détails éloignant, ou rapprochant lors d'autres scènes, les différents personnages dans un écho subtil, j'ai trouvé ça brillant.


Un polar rugueux à l'image de son titre, sec, désemparé, pessimiste mais pas que. Une histoire sans héros, une histoire sur l'homme, éreinté de ce monde et de ses défauts.
Lent mais aucunement contemplatif, les plans apparaissent souvent similaires et somme toute classique, ce qui renforce la singularité de l'œuvre à mes yeux. Même la violence, car il y en a, n'est pas esthétisée, elle est crue, elle est là, c'est tout.
Le manque de musique aide aussi à ce réalisme percutant. Seuls quelques morceaux apparaissent en in, via la radio des voitures ou autre.
D'ailleurs la scène ou deux voitures passent le même morceau mais qu'une à les vitres éclatées et l'autres fermées, la différence de son est remarquablement travaillée.


Face à cette violence désemparée se trouve un casting aux petits oignons, que le générique de fin, à l'ancienne, met bien en avant. Comme un sentiment que sont réuni les déchus du cinéma, et ça fait plaisir.
En tête, le fabuleux retour de Mel Gibson, loin des mimiques de l'Arme Fatale, impeccable de sincérité. Son acolyte, Vince Vaughn dans un rôle intimiste, évitant les clichés du jeune flic.
Puis gravite autour d'eux une Jennifer Carpenter dont la partie qui lui est consacrée est tout bonnement magistrale d'ironie.
Laurie Holden, Michael Jai White, Fred Melamed, Thomas Kretschmann, Don Johnson ou encore le délicieux Udo Kier complètent la troupe.


Dragged Across Concrete est une véritable perle du cinéma policier, un drame intimiste à l'écriture ciselée et riche, à la mise en scène tout aussi captivante qu'inspirante.

-MC

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